FABLES À PART - Contrariétés animales 2 Sept. 2019
Deux fables extraites du recueil
(Pour commander l'ouvrage, veuillez contacter l'auteur)
Deux chiens sur le sable
Deux chiens sur le sable, assis sur leurs séants,
Discutaient, nonchalants, en mirant l’océan.
Ils observaient, songeurs, les ébats de leurs maîtres
Leurs rires et clameurs face à la vague traître.
Étranges agissements pour les deux épagneuls
Qui un peu déroutés n’en croyaient pas leurs gueules.
L’un d’eux exaspéré s’exprima en premier :
« Qu’ont donc ces sots humains ? Sont-ils - ciel ! - autant niais ?
C’est à se demander s’ils ne sont pas primaires.
Plus cabots que nous-même ? Et bien, la belle affaire !
Entendez-vous leurs cris ? L’océan les fait choir
Et cela les amuse. Et pour s’en dispenser,
Ils inventent cent ruses afin de la tromper.
Je ne comprends plus rien à cette fantaisie
Et finirai par croire qu’ils n’ont plus d’esprit. »
Son ami à côté soupira longuement.
Pencha la tête un peu et tout en gémissant,
Il passa une langue à l’orée de ses crocs.
Il répondit ainsi en redressant son dos :
« Mon cher ami canin, prudence est nécessaire
Au sujet des humains concernant cette affaire.
Songez à ceux qu’ils sont, à leurs rudes manières
Qu’ils s’imposent ainsi durant la vie entière.
Ils sont tant, ces humains, faits pour la société
Qu’ils oublient que la vie est bien pour s’amuser.
Alors, tels des enfants, privés de leurs jouets,
Retenus à l’école et toute la journée,
Lorsque la cloche sonne à la récréation
Ils sont tout excités et perdent la raison.
Ce qui m’étonne encore et qui me désespère
C’est que j’ai l’impression que tout tourne à l’envers.
Quand nous jouons nous-mêmes, ils nous trouvent cabots
Mais savent-ils enfin qu’ils sont comme des sots ?
En sont-ils bien conscients ? Mener la vie austère
Que chaque jour leur fait, je l’avoue, désespère.
Et l’on me donnerait le droit d’être un humain
Même pour la fortune, je n’en voudrai point. »
Ainsi le monde est fait. Celui de ces humains
Qui n’imaginent pas être vus par leurs chiens
Comme pauvres jouets de l’austère existence
Qu’ils s’imposent à eux-mêmes en toute conscience.
Ça suffit. Gardons-nous d’un peu trop de sérieux.
Aimons la fantaisie jusqu’à devenir vieux,
Qu’une vague de joie nous pousse sur les bords
Et nous offre toujours un bien plus joli sort.
Deux fourmis
Deux fourmis suivaient la procession de leurs sœurs.
Les vaillantes s’affairaient et de bon cœur,
Transportant, courageuses, au bout des mandibules
Des miettes laissées le long d’un vestibule.
Mais la première quitta la file ouvrière,
Puis s’éloigna un peu et resta en arrière.
La seconde étonnée la suivit derechef
Afin d’exprimer là tout son saoul en griefs.
« Dites-moi, chère amie, quelle est cette manie
De quitter notre rang et de venir ici ?
Il n’est pas le moment de laisser notre ouvrage.
Auriez-vous donc perdu la notion de courage ? »
« - Pas du tout, répondit la première plus sage.
Avez-vous remarqué l’étrange paysage ?
Cette forêt de jambes qui s’étirent en long.
Cette file d’attente est-elle de bon ton ?
Que font-ils ces humains à poireauter ainsi ? »
« - Auriez-vous oublié où nous sommes ici ?
C’est un estaminet où l’on sert à manger.
Ils attendent ainsi pour bien se sustenter. »
La fourmi étonnée, entendant la réplique
Ne put bien contenir un fou rire hystérique.
« - Ils sont bien affligeants, se gaussait l’insolente.
Espérer son repas dans la file d’attente
Au lieu de s’obliger à soi-même le prendre.
Quelle perte de temps ! Autant aller se pendre ! »
« - Que voulez-vous ma chère ? C’est là leur infortune.
Sans compter, hélas, qu’ils vont dépenser leurs tunes. »
« - Comment ? Que dites-vous ? Ils vont payer pour ça ?
Quelle satisfaction l’homme peut trouver là ?
Qu’il baisse donc la tête et vise par ici
L’exemple devant eux, le peuple des fourmis ! »
« C’est beaucoup demander à ces pauvres humains
Que de courber l’échine ou d’être plus malins.
Ils n’ont sûrement pas la belle humilité
Qui fait bien tout notre art de vivre en société. »