LE DÉCALOGUE TERRIFIANT (extraits) 12 Déc. 2019
Avant propos
Le décalogue terrifiant réunit dix nouvelles originales inspirées de nos frayeurs d’hier à aujourd’hui. Elles mettent en scène certains mythes, personnages ou superstitions du passé ainsi que des légendes urbaines beaucoup plus contemporaines. À chaque histoire est associée un chant composé en vers qui reprend le propos de la nouvelle. Ils sont construits comme des comptines qui soulagent, guérissent ou nous alertent sur nos angoisses les plus intimes.
Le décalogue terrifiant et les chants de la peur peuvent être récités, accompagnés de musique et même servir à la réalisation d’enregistrements sonores (radiophoniques) ou vidéos.
Pour vous exercer à la langue anglaise, vous trouverez trois des textes traduits à la fin de l'ouvrage.
Voici deux de ces nouvelles terrifiantes et poétiques.
LE GOLEM D’ADAM
Adam ne supportait plus les injures et les exactions violentes de certains camarades de classe. Le jeune lycéen était d’origine israélienne et malgré les actions de préventions, d’informations auxquelles tous les élèves avaient assisté, rien n’y faisait. Certains demeuraient bêtes et méchants, ceux que tous appelaient « les harceleurs ». Adam n’était pas de ceux qui s’apitoyaient sur le sort des juifs au travers des drames de l’histoire. Il pensait plutôt que beaucoup d’ethnies, de peuples, qu’importe leur culture ou leur religion, avaient eu aussi à souffrir du racisme et du harcèlement. Adam était un jeune humaniste révolté comme on peut l’être à cet âge. Et quoi de plus naturel ? Mais là, c’en était trop. Les outrances que se permettaient les « harceleurs » notoires de son établissement scolaire prenaient des proportions trop graves. De plus, cette bande de mauvais adolescents, filles et garçons confondus, avait développé des procédés plus que sournois pour s’adonner à leurs jeux débiles et violents. Ils ne se faisaient jamais pincer. Ils opéraient toujours à l’insu des professeurs, des conseillers pédagogiques ou des autres élèves. Chaque matin, on découvrait les séquelles de leurs vilaines actions commises la veille à l’encontre d’un camarade. Ce soir-là, Axel, le meilleur ami d’Adam, l’avait appelé, un peu à contrecœur, mais afin de ne pas rester muet sur ce qui venait de lui arriver. Le pauvre garçon s’était fait cintrer par la bande des « harceleurs » juste avant de rentrer chez lui. Ces derniers, visages masqués, l’avaient roué de coups tout en filmant la scène avec leurs portables.
Les salauds ! maugréa Adam en serrant son cellulaire entre les doigts de sa main. Et toi, ça va ? Tu es blessé ?
- J’ai quelques contusions. Ces enfoirés avaient bien préparé leur plan. Ils ont utilisé des annuaires téléphoniques pour me tabasser. Ça ne laisse aucune trace trop évidente.
- Il y en a marre. Jusqu’à quand ça va durer tout ça ? Faut que tu portes plainte, Axel. Faut pas qu’ils s’en sortent comme ça...
– Ne bataille pas, Adam. Si je fais ça, ils l’apprendront tôt ou tard et les représailles seront terribles. Ah ! Si nous avions un golem pour nous protéger, ils feraient moins les fiers ! soupira Axel.
– Un golem ? C’est quoi ça ?
– Tu es d’origine juive et tu ne sais pas ce qu’est un golem, mon frère ? Le gardien de la cabale ? On ne t’a jamais raconté la légende de rabbi Loew ?
– Ben, non. On ne peut pas tout connaître.
Axel résuma à Adam l’histoire du rabbin de Prague qui, pour défendre les gens de sa communauté, avait confectionné un homme d’argile. Afin de lui donner vie, il lui avait écrit le mot Emet (Vérité) en hébreu sur le front et effaçait la première lettre de ce mot pour qu’il devienne Met (tue) et ainsi lâcher le monstre à la poursuite des oppresseurs. Sur le moment, Adam ne prêta pas plus d’attention à cette légende vieille comme le monde. Mais dans la nuit, son sommeil fut agité par des rêves de golem, d’argile et de vengeance. À son réveil, mille questions hantaient l’esprit d’Adam. Et si ça marchait vraiment ? Et s’il y avait une part de réalité dans ce mythe ? Adam se documenta sur la fabrication d’une telle créature et lorsqu’il fut assez renseigné sur le sujet, il décida de passer à l’action. Tout en dissimulant ses projets à son ami Axel, il réussit à détourner de nombreux blocs d’argile conservés à l’atelier d’art plastique du lycée et les entreposa à l’insu de sa famille dans de multiples cachettes de sa chambre. Il y en avait partout, dans son armoire sous des piles de linges, sous son lit, accroché au sommier, dans le fond des tiroirs de son secrétaire. À la veille d’un weekend, ses parents devaient rendre visite à une vieille tante qui demeurait à plusieurs kilomètres de là. Adam prétexta avoir une montagne de travail scolaire afin de rester seul à la maison. Une fois les adultes partis, il se mit à la tâche. La cuisine était le lieu le plus adéquat pour modeler la chose. Il recouvrit soigneusement le sol de larges bâches en plastique, puis récupéra les kilos d’argile qu’il avait dissimulés dans les multiples caches de sa chambre. Toute la journée, il sculpta son golem et le soir venu, une silhouette gigantesque était allongée sur la grande table.
Adam consulta le recueil de formules et de prières qu’il avait déniché chez un bouquiniste Talmud du quartier. Il prononça les paroles magiques dont il avait pris soin d’exercer la diction et écrivit le mot d’Emet sur le front de la créature. Rien ne se passa. Le jeune garçon voulut reprendre le rituel pensant avoir oublié quelque chose, mais au moment où il ouvrit une nouvelle fois le précieux livre, la matière frissonna et s’anima d’une vie propre. Adam eut un sursaut de recul. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Le torse du golem se redressa lentement. L’adolescent n’en croyait pas ses yeux. Il ordonna à la créature de se lever et c’est ce qu’elle fit, puis de le suivre jusque dans le jardin derrière la maison. Ainsi à l’abri des grandes haies qui l’entouraient, un quelconque voisin ou passant ne les surprendrait pas. Il demanda au golem de se pencher en avant afin de pouvoir atteindre son visage, prononça avec soin les noms et prénoms des « harceleurs » et effaça la première lettre du mot gravé sur le large front. Le monstre frémit une dernière fois puis sortit par la petite porte du jardin qui donnait dans la rue avant de se fondre aux ténèbres.
Le lundi suivant, de retour au lycée, on apprenait qu’un des « harceleurs » avait disparu dans la nuit de samedi à dimanche. Sa famille, inquiète, avait alerté la police, mais le jeune demeurait introuvable. Le lendemain, il y eut une nouvelle disparition dans le clan des « harceleurs ». Cette fois-ci, c’était une des mauvaises filles qui n’était jamais arrivée chez elle après la classe. Et ainsi de suite, jour après jour, les lieux furent nettoyés de tous ces maudits « harceleurs ». Adam était trop fier et satisfait de son ouvrage pour ne pas en parler à son ami Axel. Ce dernier, incrédule, fut troublé lorsqu’il vit les vidéos qu’Adam avait pris soin de saisir avec son téléphone portable afin de prouver ses dires.
– Ce n’est pas vrai. C’est quoi ce délire ? Adam, tu as perdu la raison ou quoi ? Qu’est-ce que tu as fait ?
– J’ai fait justice, un point c’est tout, répondit sèchement Adam.
– Tu as provoqué des meurtres, voilà ce que tu as fait. T’es complètement malade mon pauvre gars.
– C’est trop tard maintenant et de toute façon, le golem va se désagréger tout seul à présent qu’il a terminé sa mission. Regarde comme tout est tranquille. Fini les harcèlements. Tu devrais plutôt me remercier.
Axel ne voulait plus rien entendre. Il se disputa longuement avec Adam, lui promit de garder le secret, mais mit fin à leur amitié. Adam ne lui en tint pas rigueur. Justice était rendue et il pensait qu’Axel oublierait cette anecdote malheureuse et reviendrait un jour à lui. Cependant, les disparitions ne cessèrent point et s’intensifièrent même, créant une véritable psychose en ville. La police était à présent à la recherche d’un tueur en série qui se débarrassait du corps de ses victimes. Un soir, Axel, persuadé que le golem sévissait toujours, vint rendre visite à Adam et le questionna une dernière fois.
– Tu es certain qu’il a bien été détruit ?
– Je t’ai déjà dit qu’il n’existe plus. Il avait un ordre précis. Là, c’est une autre histoire. Il y a un malade qui se promène en ville, c’est tout, répondit Adam que l’insistance d’Axel commençait à agacer.
– Tu en es sûr ? Dis-moi ce que tu as vraiment fait avec cette chose.
– J’ai gravé le mot « Emet » sur son front pour prendre possession de lui et lui indiquer les cibles à atteindre. Ensuite, j’ai effacé la première lettre. J’ai pensé à tout.
– J’ai bien peur que ce ne soit pas aussi simple, fit Axel en sortant de son sac le même livre de prières qu’Adam. Je me suis procuré un ouvrage identique à celui que tu as utilisé. Tu as oublié de faire quelque chose. C’est écrit là, regarde : « ... pour reprendre possession du golem et faire en sorte qu’il disparaisse une fois sa vengeance effectuée, placer auparavant, dans sa bouche, un rouleau de papier sur lequel sera inscrit le nom de Dieu. Ainsi le monstre retournera à la terre et la terre à la poussière... » Adam courut vérifier son ouvrage et constata qu’il manquait une page. Il sentit un frisson lui parcourir le dos.
Au même moment, un hurlement terrible déchira les profondeurs de la nuit. Axel, terrifié, murmura alors :
- Il continue et continuera toujours. Plus rien ne pourra l’arrêter, Adam. Plus rien. Dieu n’était pas entre ses lèvres. Le démon a pris possession de lui. Le démon, Adam. Le démon...
CHANT DE LA VENGEANCE
La vengeance est rude et mauvaise conseillère.
Nul ne peut la contrôler ou en être aussi fier.
Car elle est un venin à nul autre pareil
Un sang impur, souillé, qui perd son beau vermeil,
Un poison virulent sans espoir de remède
Une vraie détresse qui ne souffre aucune aide.
L’homme plein d’amertume est fou d’en trop user
Car il tente le diable en apprenti sorcier.
Elle couve en son sein, un mal plus redoutable,
Une peur inconnue, une bête effroyable.
Sa sœur est la souffrance à qui elle doit tout.
Cette réalité nous rendra bien tous fous.
Et nous pourrions cent fois vouloir s’en détacher
Qu’elle serait capable de nous rattraper.
Elle feint, sans pitié, une vraie délivrance
Nous privant bien ainsi d’honnêtes espérances.
L’angoisse est de retour, son cortège effrayant
Ainsi que tous les fils des démons de Satan.
DANS L’OMBRE
Mes parents avaient loué une maison de campagne pour les vacances. Nous vivions en appartement toute l’année. L’idée d’avoir un lieu rien qu’à nous pour un long mois nous réjouissait. Après quelques heures de route et deux ou trois demi-tours afin de trouver notre chemin, nous arrivâmes aux abords de l’espérée demeure. Elle avait un grand jardin, à l’étage, trois chambres et salle de bains, au rez-de-chaussée, il y avait le salon, la salle à manger et la cuisine d’où descendait un escalier qui conduisait à un cellier. La première soirée, ma mère nous prépara un copieux diner pour nous remettre de ce long voyage. La nuit, nous eûmes tous du mal à trouver le sommeil tant nous étions habitués aux bruits de fond de la vie urbaine. Il ne nous fallut que quelques jours pour nous acclimater au silence de cette demeure. Les vacances allaient enfin devenir réparatrices pour tout le monde. Le calme et la tranquillité ont régné ainsi pendant une semaine, mais au début de la suivante, un étrange phénomène commença à perturber notre repos. Une odeur insoutenable de viande avariée envahissait toute la maison. Mon père crut qu’un animal mort trainait dans le jardin à proximité, ce qui pouvait expliquer ces effluves pestilentiels. Mais le lendemain, au lever du jour, l’odeur avait totalement disparu et nous ne trouvâmes aucun cadavre en décomposition dans les environs. La nuit suivante, elle réapparut plus forte et plus nauséabonde que la veille. N’y tenant plus, mon père sortit une nouvelle fois à l’extérieur pour vérifier tandis que nous rejoignîmes la cuisine avec notre mère. Elle constata alors que l’abjecte puanteur remontait du cellier. Au même moment, son mari revenait encore bredouille du jardin. Ma mère commençait à descendre les marches du sous-sol, mais elle en fut vite découragée tant l’odeur devenait insoutenable à mesure qu’elle se rapprochait du lieu. Mes parents eurent l’idée de recouvrir leurs nez et leurs lèvres d’un torchon badigeonné d’huiles essentielles parfumées. Ils nous ordonnèrent de rester en cuisine et ainsi grimés en avatars de gangsters, ils entamèrent leur mouvement vers le cellier.
Pendant quelques instants qui nous paraissaient interminables, ma sœur et moi gardions les yeux rivés sur l’ouverture sombre et béante de l’inquiétante pièce souterraine. C’est alors que nous vîmes surgir de l’obscurité nos parents qui semblaient totalement affolés. Ils s’empressèrent de verrouiller la porte derrière eux. Ma mère supplia mon père d’appeler immédiatement la police, puis retira le bandeau improvisé de sa figure. Elle avait du mal à retrouver sa respiration. Son visage était blême et les yeux pleins d’effroi. Elle nous invita à retourner en cuisine pour attendre l’arrivée des forces de l’ordre. Une heure plus tard, deux inspecteurs déboulèrent dans la maison. Mes parents leur indiquèrent qu’un homme se trouvait dans le cellier, qu’ils ne savaient pas comment celui-ci avait réussi à s’introduire ici, car ils étaient certains d’avoir bouclé toutes les issues. Les officiers descendirent jusqu’à la cave. Étrangement, l’odeur était moins forte qu’auparavant. Ils déverrouillèrent la porte et pénétrèrent en force dans la sombre pièce non sans avoir omis d’annoncer vivement leur arrivée. L’éventuel intrus qui se dissimulait dans la maison n’avait aucune chance de s’en sortir. Après un long moment, les deux hommes remontèrent bredouilles et très déconcertés. Ils affirmèrent que le cellier était vide et qu’en plus, aucune issue ne permettait de s’en échapper. Une fois la police repartie, mes parents nous confièrent que là en bas, au sous-sol, ils avaient eu la plus grande terreur de leur vie. Au moment où ma mère voulut allumer l’unique ampoule de la pièce, celle-ci explosa en un éclair. Mon père dirigea alors le faisceau de sa lampe torche à cet endroit. C’est là qu’ils l’aperçurent. Un inconnu se tenait à quatre pattes dans l’ombre du cellier, les habits sales et en lambeaux, des mains griffues, les cheveux emmêlés et des yeux qui, tels des miroirs pleins de haine, réfléchissaient la lumière. Puis l’horrible créature se mit à ramper en marche arrière et disparut dans les ténèbres. C’est à ce moment-là que mes parents détalèrent jusqu’à la porte d’entrée.
Si vous pensez que tout cela n’est que pure invention, sachez que nos parents n’avaient pas l’habitude ne nous conter des histoires à
faire peur. Mais eux-mêmes avaient été si épouvantés qu’ils eurent sans doute, ce soir-là, le besoin irrésistible de partager leur frayeur. D’un commun accord, nous décidâmes d’écourter nos vacances. Jusqu’au jour de notre départ, le cellier fut gardé fermé à double tour. Depuis ce temps, lorsque je dois me rendre dans un endroit sombre, je me méfie des coins d’ombre. Car, croyez-le ou non, dans l’obscurité de ces endroits, entre un meuble et un autre, entre le sèche-linge et la lessiveuse, dorment des créatures qu’il faut à tout prix éviter d’éveiller.
CHANT DES OMBRES DORMANTES
Au creux des coins obscurs où l’ombre est la maitresse
Existent des chimères nourries aux détresses
De ceux qui trop naïfs croient à une légende.
D’épouvantables cris à vos lèvres se pendent.
Au creux des coins obscurs observent des yeux morts
Avec pour étincelle un bien funeste sort
Qui vous est réservé. Des êtres qui espèrent
Vous attirer à eux, vous mener aux enfers.
Au creux des coins obscurs existent des horreurs
Qui n’espèrent de vous qu’une funeste peur,
Au creux des coins obscurs, gît une ombre dormante
Aux mâchoires acérées, à la haine mordante,
Elle te dévisage et ses muscles se tendent.