LES SENTINELLES DU CRÉPUSCULE (Extrait du tome 2) 1 Oct. 2019
RÉSUMÉ
Les premières chaleurs annoncent le début de l’été. Pour les jeunes orphelins qui forment à présent le clan des sentinelles, l’affaire du manoir de Greenvalley reste encore très sensible. Les autorités ont cru raisonnable de les séparer pour réparer leurs blessures psychologiques. Toutefois, leur désir de se retrouver devient de plus en plus tenace. Alors, lorsque les adolescents reçoivent un courrier de l’aide à l’enfance leur proposant de passer ensemble leurs grandes vacances, ils ne peuvent plus cacher leur joie.
Voici nos héros en partance pour la Bretagne, en direction d’un centre de loisirs installé dans un château digne des légendes arthuriennes, aux abords de la forêt de Brocéliande. Rapidement, les agissements suspects de certains résidents du château vont les alerter. Où vont ces adolescents qui, chaque nuit, se faufilent en silence entre les arbres de la forêt ? D’où viennent ces terrifiants enfants qui semblent ne plus avoir de visage ? Et pourquoi la colonie de vacances est-elle soudain la proie d’une fulgurante épidémie de méningite ?
Avec l’aide de Gwendoline, une jeune orpheline nantaise, les sentinelles vont devoir affronter des dangers plus terribles qu’auparavant. Mais surtout, elles seront confrontées à de bouleversantes révélations sur leur passé.
EXTRAIT
L’autocar les déposa dans une grande cour au pied du château. De nombreux adolescents venaient aussi de sortir les bagages des véhicules. D’autres donnaient l’impression de faire déjà partie des lieux. Ils étaient réunis au pied de l’édifice qui surplombait le grand lac dont les bords se confondaient avec la lisière de la forêt. Les rives partiellement composées d’affleurements de schistes rouges formaient un joli mélange coloré entre roche et végétal qui ajoutait au lieu une atmosphère magique. À la vue d’un tel panorama, on pouvait imaginer que de belles légendes et de mystérieux sortilèges régnaient encore en ces terres. Le bâtiment datait de 868 après Jésus Christ. En tout cas, les premières traces écrites remontaient à cette époque. Puis il avait connu les ravages du temps, de l’histoire et de nombreuses reconstructions. De l’ère médiévale, il n’avait plus gardé qu’une partie du rempart féodal, mais déjà son esthétique, même recomposé, forçait l’admiration de tous.
– On s’y croirait, murmura Darla conquise par la beauté du site.
– Je crois qu’on ne va pas s’ennuyer, ici, ajouta Fiona qui ne savait plus où donner de la tête.
– Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises, fit une voix non loin d’eux. La légende raconte que le site était la résidence de la fée Viviane et que Merlin l’enchanteur, éperdument amoureux de celle qui était son élève, lui construisit un château de cristal au fond des eaux.
Une jeune fille à la longue chevelure d’ébène se tenait juste à côté du groupe. Ses beaux yeux en amande d’un noir tout aussi profond contrastaient avec un sourire d’une blancheur éclatante.
– Je crois qu’on a trouvé la fée Morgane, murmura Oscar avant de recevoir un léger coup de coude de Kristen qui lui fit les gros yeux en fronçant les sourcils.
Le garçon se contenta de lui renvoyer un sourire narquois en lui adressant un de ses clins d’œil dont lui seul avait le secret.
– Bonjour, fait gaiement l’inconnue. Je me nomme Gwen. Pardonnez-moi, je ne voulais pas paraître prétentieuse avec mon histoire. Je n’ai aucun mérite, je suis du pays et je me passionne depuis longtemps pour son histoire et le passé de cet endroit.
La discussion s’engagea sans difficulté entre les jeunes gens qui firent rapidement connaissance. La jolie Bretonne était aussi orpheline. Elle venait d’arriver comme chacun. Elle n’avait pas vraiment d’amis parmi ceux qui firent le voyage avec elle depuis Nantes. Quand elle apprit que ses nouveaux camarades venaient tous du Royaume-Uni, elle leur avoua qu’elle rêvait de s’y rendre. En tout cas, elle maîtrisait déjà la langue anglaise avec une certaine aisance. De leur côté, nos héros avaient aussi grandement progressé en français pendant leur scolarité. Oscar, qui n’osait pas trop intervenir dans la discussion des filles, laissait son regard se promener sur le paysage environnant. C’est à ce moment qu’il constata que quelqu’un manquait à l’appel.
– Hé ! Les filles, vous avez remarqué ? Je crois que miss Forester a pris congé de nous sans demander son reste.
– Grand bien lui fasse, lança Fiona. Je ne supportais plus ses façons.
Leur conversation fut interrompue par de sympathiques moniteurs grimés en costumes d’époque. Ils venaient pointer leur présence et les informer que le directeur du centre allait bientôt s’exprimer afin de leur souhaiter la bienvenue. Quelques instants plus tard, l’homme en question grimpa sur un proscenium joliment décoré aux armoiries du château et se présenta aux nouveaux venus. Âgé d’une cinquantaine d’années, il possédait une chevelure grisonnante et des traits de visage anguleux soulignés par un regard d’un bleu très clair qui lui conférait une certaine sévérité. Mais ses paroles chaleureuses vinrent adoucir son apparence austère et conquirent rapidement l’assemblée.
– Bienvenue à tous dans ce beau domaine qui je l’espère vous émerveille comme nous. Je me nomme Otis Gabler et suis votre directeur. Votre colonie de vacances « Nouvel horizon » est baptisée ainsi, car elle vous offre l’opportunité de passer un séjour estival aussi agréable que constructif, tourné vers la jeunesse, l’action et l’esprit d’initiative. Car vous êtes les heureux sujets d’un bel avenir qui s’offrent à vous. « Nouvel horizon » vous proposera des activités de plein air, de loisirs culturels ou sportifs. Mais pas seulement, car vous aurez aussi la chance de recevoir un enseignement d’un tout nouveau genre qui mêlera le jeu, la découverte et l’apprentissage. Comme vous avez pu vous en rendre compte grâce à l’accoutrement des animateurs qui vous ont accueilli, vous êtes, ici, sur les terres des célèbres légendes du roi Arthur. Pour fêter votre arrivée, nous organiserons un bal sur ce thème. Il se déroulera le weekend prochain dans la salle des fêtes de ce superbe château. À présent, vos moniteurs vont vous conduire jusqu’à vos logements. Ce sont des tentes confectionnées sur le modèle de celles que l’on trouvait au Moyen-âge. Je vous rassure, elles n’en ont que l’aspect extérieur, car à l’intérieur elles possèdent tout le confort nécessaire. Nous vous invitons à vous réunir par petits groupes afin de vous y installer, car elles sont agencées en chambrée de six ou sept lits. Notre colonie de vacances est mixte donc filles et garçons peuvent se mélanger, car nous mettons un point d’honneur à ce que chacun apprenne la vie en collectivité sans distinction de sexe, de culture ou de religion. Cela peut paraître étonnant pour certains, mais je vous rappelle que notre centre de loisirs se nomme « Nouvel horizon ». Nous vous renseignerons plus précisément sur ce point et vous aiderons à découvrir les lieux. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter d’excellentes vacances à tous.
Une salve d’applaudissements retentit dans la cour du château. Otis Gabler rejoignit l’entrée de l’édifice. Mais avant qu’il n’y disparaisse tout à fait, Fiona remarqua qu’une personne l’avait rapidement rattrapé. Miss Forester n’avait pas encore totalement quitté les lieux puisqu’elle échangeait à présent deux ou trois mots avec le responsable avant de s’engouffrer dans le bâtiment en sa compagnie. Pendant ce temps, les animateurs répondaient au flot de questions des jeunes. Oscar, un peu embarrassé, se tourna vers ses amies.
– Dites les filles, c’est un peu nouveau pour moi cette idée de se mélanger entre filles et garçons. Ça vous pose un problème ? Je trouve ça un peu gênant, non ?
– Moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. C’est pas comme si tu étais un étranger. Seulement si tu ronfles la nuit comme un ogre, là, ça peut poser un problème, lança Darla avec humour.
- Et si c’est le cas ? demanda le garçon.
– On te jette hors de la tente dans la foulée, répondit-elle avant de se tourner vers les autres filles qui riaient déjà en voyant l’expression de dépit qu’affichait Oscar.
Gwenn fut bien entendu invitée à faire partie de la chambrée. Abigaïl de son côté montra moins d’intérêt à cette problématique. Depuis le début du discours d’accueil d’Otis Gabler, Kristen avait bien reconnu chez sa « grande sœur » cette apparition significative des plis de son front qui en général indiquaient une certaine anxiété.
– Quelque chose te travaille ? C’est l’idée de dormir dans le même endroit qu’un gars ou il y a autre chose ?
– Non, non, ce n’est pas ça, répondit Abigaïl à mi-voix. C’est ce type. Otis Gabler. Il me rappelle quelqu’un. J’ai le sentiment de l’avoir déjà vu quelque part.
– C’est seulement une impression sans doute. On croise tellement de gens, tu sais…
– Non, non, j’en suis presque sûre. Je te jure. Il m’a fait une drôle de sensation… Comme un lointain souvenir, mais qui ne veut pas refaire surface.
L’inquiétude d’Abigaïl s’accentua un peu plus encore. Ses mains tremblaient légèrement. Un autre détail que Kristen remarqua immédiatement avant de les prendre dans les siennes.
– Tu as les mains glacées, Abi. Tu es sûre que ça va ?
Elle n’obtint pas de réponse, car au même instant un beau jeune homme élégamment costumé se présenta au groupe.
– Bonjour à tous. Je me nomme Grégoire. Si vous le voulez bien je serai votre guide et votre animateur attitré pour toute la durée du séjour.
Il devait avoir à peine plus de vingt ans. Il avait belle allure dans son apparat de chevalier. La couleur ambrée de sa peau déjà halée par le soleil contrastait avec le bleu quasi transparent de ses yeux. Ses longs cheveux d’un blond vénitien lumineux tombèrent en désordre sur ses larges épaules lorsqu’il retira sa coiffe. Ce beau visage et cette carrure de sportif firent réagir instantanément Darla qui murmura à l’oreille de Gwen.
– Ces vacances me semblent de plus en plus attrayantes, ne trouvez-vous pas, ma chère ?
La brunette, surprise par le toupet de la Galloise, retint de justesse un petit rire avant que le jeune homme n’invite le groupe à le suivre afin de déposer leurs bagages. En tout premier lieu, il leur fit découvrir leur hébergement. Ce dernier était composé de toiles épaisses et colorées, à l’image de celles qu’on pouvait trouver à l’époque sur les sites des fameux tournois médiévaux. Imperméables à la pluie, elles se divisaient en plusieurs box qui pouvaient accueillir jusqu’à sept personnes. Séparées par d’étroits couloirs jalonnés de lampes en forme de flambeaux, elles permettaient un accès rapide et aisé. Lorsque les jeunes découvrirent la décoration de leur chambre, ils poussèrent des exclamations de surprise. Celle-ci était joliment décorée de tapisseries d’époque qui ornaient les parois, d’écussons aux belles armoiries et d’armes factices exposées sur des présentoirs suspendus. Les lits étaient surmontés d’un baldaquin léger qui ajoutait une note de féérie supplémentaire. Oscar fit le choix de la couche qui était la plus reculée afin d’offrir à ces demoiselles autant qu’à lui un maximum d’intimité. Une fois débarrassé de leurs affaires, l’animateur les entraîna vers le château. Ils y accédèrent par le pont-levis de la partie médiévale encore préservée. De là, ils franchirent une poterne qui donnait sur une cour intérieure soigneusement restaurée et qui possédait en son centre un vieux puits condamné. Sur le côté, un petit amphithéâtre à ciel ouvert était prêt à accueillir les animations et les spectacles du séjour. Puis, sous la surveillance immobile de quelques gargouilles de pierre sculptée qui les surplombaient, le petit groupe s’introduisit à l’intérieur du bâtiment principal par une lourde porte en bois épais parsemée d’énormes clous en acier. Le voyage dans l’ancien temps était total. La voûte gothique du hall était soutenue par d’énormes colonnes ornées d’écus et gardées par d’impressionnantes reproductions d’armures. De chaque côté de ce vestibule aux proportions gigantesques, de nombreux corridors s’ouvraient vers d’autres pièces toutes les plus spacieuses les unes que les autres. Une salle de réunion avec sa grande table ronde digne de celle des seigneurs de la légende était le point d’accès principal à de multiples autres salles dédiées aux activités. La bibliothèque qui fit grimacer Darla, toujours en froid avec la littérature, provoqua à contrario chez Abigaïl, Fiona et Kristen, un grand cri d’exclamation. Il y avait une quantité infinie d’ouvrages sur le cycle arthurien et son époque, sur la culture celte et ses origines. Puis ce fut la découverte de la salle de restaurant dont la démesure et l’ornementation n’avaient rien à envier aux autres lieux du bâtiment. À l’étage, les jeunes gens découvrirent la grande pièce dédiée aux cérémonies où devait se dérouler le fameux bal de bienvenue dont leur avait parlé tantôt le directeur.
– C’est du délire, s’écria Darla.
– Et attends d’avoir vu les costumes que vous porterez pour la fête. Je suis curieux de te voir en habit de gente dame. Je suis certain que tu seras belle à faire pâlir tous les damoiseaux du coin, ajouta Grégoire en lui adressant un large sourire.
La jolie Galloise, d’ordinaire plutôt insensible aux compliments, sentit soudain que le rouge lui montait aux joues. Décontenancée par cet incontrôlable élan de pudeur, elle détourna un instant le regard pour ne pas trahir sa confusion et laisser le jeune homme s’éloigner un peu.
– Aïe, je crois que notre bel animateur a fait mouche avec Darla, murmura Heather aux autres. Il faut agir vite, sinon on ne va plus la tenir.
– Mesdemoiselles, permettez-moi de vous laisser le soin de ce périlleux ouvrage que je considère bien au-dessus de mes forces, fit Oscar avec emphase.
Le groupe eut du mal à retenir quelques petits rires qui vinrent jusqu’aux oreilles de leur amie. Cette dernière se retourna vivement vers eux en plissant légèrement les yeux en signe de suspicion.
– J’entends qu’on murmure dans mon dos. Et je déteste ça, quand on murmure dans mon dos. Qu’est-ce qui vous fait tant rire ?
– Nous ? Oh ! Rien. C’est juste l’idée de nous imaginer dans les habits d’époque, répondit Heather avec une hypocrisie mal dissimulée.
– C’est ça. Prends-moi pour une idiote en plus !
Le groupe reprit sa marche en riant de plus belle. La visite se clôtura par une promenade autour de l’étang où, comme chacun s’y attendait, Darla ne lâcha pas Grégoire d’une semelle, marchant à ses côtés et le criblant de questions en tout genre. Pendant ce temps, les autres firent plus ample connaissance avec Gwen. La jeune bretonne leur apprit que son prénom était le diminutif de Gwendoline, la déesse de la lune des croyances celtiques. N’ayant presque pas connu ses parents qui, d’après ses douloureux souvenirs, avaient péri tout deux lors du bombardement aérien du port de Nantes par la Luftwaffe, l’aviation allemande, en 1943, elle avait de suite été prise en charge par les sœurs carmélites de la cité. Elle y resta jusqu’au début des années 50 avant d’intégrer l’orphelinat Saint Vincent-de-Paul. Ses nouveaux amis lui parlèrent aussi de leur passé, des circonstances dans lesquelles ils se rencontrèrent et de l’aventure incroyable qu’ils vécurent à Greenvalley Manor.
– Cette histoire est totalement ahurissante, fit Gwen qui n’en croyait pas ses oreilles. Vous avez dû avoir sacrément la trouille.
– Pour sûr, nous avons eu quelques moments de franche terreur, mais ça n’a fait que renforcer notre amitié, précisa Abigaïl.
– C’est génial d’avoir vécu tout ça ensemble. Chez moi, à l’orphelinat, c’est plutôt calme et il ne se passe pas grand-chose.
– Et bien, voilà qui est fait. Tu nous as rencontrés, fit Heather en posant amicalement son bras sur les épaules de Gwen avant d’ajouter en cabotinant, à présent plus rien ne sera comme avant.
Les jeunes gens poursuivirent leur conversation pendant qu’au loin, le soleil disparaissait peu à peu derrière les grands arbres centenaires. Le crépuscule peignait doucement les rives de l’étang en d’autres tonalités enchanteresses. Des nuées d’oiseaux s’envolaient au rythme des groupes d’adolescents qui se rapprochaient à présent du château dont la silhouette se détachait sur un ciel rougeoyant. La nuit allait bientôt tomber sur les terres de la fée Viviane, ravivant les échos des mystères d’antan.