COMME UN NUAGE 1 Juin 2013

COMME SUR UN NUAGE

Gianmarco Toto

 

Personnages

Louis

La mère

Mlle Blanc (Professeur de lettres)

Mlle Adèlie (Professeur de sciences)

Mlle Stark (Professeur de sport)

Les élèves (Sabina, Coralie, Kevin, Corinne, Cindy, Agnès et Adam.)

 

Le décor

L’action se situe au collège, dans la rue et dans la demeure de Louis et sa mère.

 

 

TABLEAU 1

 

Louis et sa mère sont attablés. Louis ne regarde pas sa mère qui lui parle.

 

La mère

Louis… Louis, tu m’entends ?

 

Louis

J’entends… J’entends toujours…

 

La mère

Je sais… C’est nouveau pour toi… C’est difficile, je sais,… Mais il faut essayer.

 

Louis

Essayer… Il faut essayer… J’entends…

 

La mère

C’est un super collège. On y fait plein de choses. Tu auras de nouveaux copains… Tu verras. Tu aimes faire plein de choses toi aussi Louis…

 

Louis

Super… Plein de choses… On fera plein de choses.

 

La mère

C’est ça.

 

Louis

Et tous les camarades que j’avais ? Je ne verrai plus les camarades que j’avais ? Pourquoi je ne verrai plus les camarades que j’avais ?

 

La mère

Louis, il faut que tu comprennes que tu grandis  mon garçon. Les autres aussi. Aujourd’hui, tu es presque un jeune homme. C’est comme ça. C’est la vie.

 

Louis

C’est comme ça… C’est la vie…(Un silence.) Ce n’est pas bien de grandir…

 

La mère

On y peut rien… C’est comme ça… C’est la nature qui décide… C’est elle qui décide de nous faire grandir…

 

Louis

Ha, oui, c’est vrai. C’est la nature… Alors ?...

 

Comme un jeu coutumié.

 

La mère

Alors ?

 

Louis

Si c’est la nature…

 

La mère

Si c’est la nature ?

 

Louis

C’est bon pour ce que tu as !

 

La mère

C’est bon pour ce que tu as…

 

Ils rient ensemble. La mère se lève et enlace tendrement Louis dans ses bras.

 

La mère

Maintenant que tu es un grand garçon, tu es prêt à faire de grandes choses.

 

Louis

Un grand garçon… De grandes choses…

 

La lumière descend doucement sur Louis et sa mère.

 

 

TABLEAU 2

 

La lumière monte sur Louis qui attend sur une chaise, à l’écart de sa mère entretien avec ses futurs professeurs.

 

Mlle Blanc

Oui… Un grand garçon… Nous en sommes convaincus, madame. Mais votre enfant est particulier.  On ne peut vous garantir le maintien de sa présence au sein de l’établissement.

 

La mère

(Visiblement contrariée.)

Je ne comprends pas. D’un côté, on me dit que Louis est capable de reprendre un cursus scolaire normal et de l’autre vous me laissez entendre presque le contraire…

 

Mlle Adèlie

Madame. Vous devez comprendre que nous saurons rester vigilants et qu’à la première difficulté que rencontrera Louis, nous devrons revoir le bien-fondé de sa présence dans un parcours scolaire classique.

 

La mère

Mais vous avez vu les tests qu’il a passés ? Vous avez vu, comme moi, que Louis a des capacités peu ordinaires, qu’il est capable de retenir beaucoup de choses, qu’il est même en avance sur beaucoup de points par rapport à d’autres enfants de son âge…

 

Mlle Stark

Oui, mais arrivera-t-il à s’intégrer, partager et communiquer avec les autres ?

 

La mère

(De plus ne plus agacée.)

C’est bien en allant à l’école qu’on apprend ces choses-là, non ?

 

Mlle Stark

Peut-être, mais quand un enfant est sujet à un tel handicap…

 

La mère

(Vivement.)

Ah ! Nous y voilà, un handicap à présent ! Louis n’est pas un handicapé, mademoiselle !

 

Mlle Stark

Excusez-moi. Ce n’était pas volontaire de ma part. Convenez tout de même qu’il a du mal, voire qu’il lui est encore très difficile de s’adapter aux autres, madame…

 

Mlle Blanc

Madame, nous n’avons aucun doute sur les capacités de Louis à suivre un programme scolaire de son niveau. Nous avons, mes collègues et moi-même, parcouru son dossier avec application. Il est la bienvenue dans notre établissement et croyez que nous ferons tout ce qui est notre pouvoir pour l’aider à s’intégrer comme n’importe quel enfant, ici. Toutefois, nous devons rester vigilants et si nous sentons que Louis rencontre des difficultés à s’adapter ou se retrouve en souffrance, vous serez la première informée et nous devrons prendre les mesures qui s’imposent.


La mère

(Elle retient des larmes d’exaspération.)

Louis doit avoir les mêmes chances que les autres enfants…

 

Dehors, sur sa chaise, Louis regarde passer deux collégiennes qui le dévisagent. Il se lève et s’adresse aux jeunes filles. 

 

Louis

Bonjour. Je m’appelle Louis. Ça se termine comme « pluie » mais ça ne s’écrit pas pareil.

 

Les deux jeunes filles se regardent l’air surpris et poursuivent leur chemin en riant sous cape.

La lumière descend tout doucement sur Louis qui lève rêveusement la tête au ciel.

 

 

TABLEAU 3

 

La lumière monte doucement sur le décor d’une salle de classe. Mlle Blanc est à côté de Louis qui fait face aux autres élèves.

 

Louis

Bonjour. Je m’appelle Louis. Ça se termine comme « pluie » mais ça ne s’écrit pas pareil.

 

Réactions et petits rires dans la classe.

 

Mlle Blanc

Très original comme façon de se présenter, Louis. Tu peux rejoindre ta place. (Elle s’adresse à la classe pendant que Louis rejoint sa table sous quelques regards furtifs et discrets des élèves.) Nous allons reprendre le cours sur la dissertation que nous avions commencé l’autre jour. Je vais noter de nouveau au tableau les principales parties de la leçon. (Elle tourne le dos à la classe et commence à écrire au tableau.)

 

A sa table, Louis sort les affaires de son sac et les dispose méticuleusement avec une précision chirurgicale.

 

Sabina

(Penchée vers la table devant elle, elle s’adresse à deux camarades.)

C’est lui qu’on a croisé hier devant la salle des profs.

 

Corinne

(Même jeu.)

Ouais. Il nous a regardé bizarre et il a dit la même chose pour se présenter.

 

Sabina

(Discrètement.)

Il paraît qu’il est zinzin ou un truc dans le genre… Enfin, c’est ce qu’on dit…

 

Corinne

Moi, j’ai entendu qu’il était autiste. Ouais. C’est un handicapé mental, quoi…

 

Kevin

Manquait plus qu’un taré dans cette classe.

 

Corinne

(A Kevin.)

Ben, ça fera deux avec toi.

 

Kevin

(En bousculant Corinne.)

Hé ! Retire-ça, toi ! Bouffonne !

 

Sabina, Karine et Corinne pouffent de rire. Ce court chahut éveille l’attention de Mlle Blanc.

 

Mlle Blanc

Peut-on savoir ce qui vous fait rire comme ça les quatre au fond, là ?

 

Kevin

Rien, mademoiselle, c’est Corinne, elle n’arrête pas de me traiter.

 

Mlle Blanc

« De m’agacer », Kevin, on dit « de m’agacer ». (Parlant comme un guerrier amérindien.) Toi, parler français si toi vouloir être compris, mon garçon. (Puis reprenant un ton plus sec.) Quant à mademoiselle Corinne, si elle traitait mieux ses leçons ce serait plus efficace.

 

Toute la classe rit puis reprend son travail. Mlle Blanc tourne de nouveau le dos à la classe et poursuit sa rédaction sur le tableau. Louis continue de ranger obsessionnellement son matériel sur la table.

 

Corinne

(Discrètement, en désignant Louis d’un mouvement de tête.)

Hé, mais qu’est-ce qu’il fiche, lui, depuis tout à l’heure ?

 

Sabina

Je ne sais pas. Des trucs de taré…

 

Corinne

Ouais. C’est ça. Des trucs de Kevin…

 

Kevin

C’est bon là, tu me lâches avec tes vannes !

 

Corinne

Ca va ! Si on peut plus rire !

 

Mlle Blanc

(En posant sa craie.)

Silence ! Ca y est ? C’est noté pour tout le monde ? Bien. Alors, qui peut me rappeler les définitions des trois parties principales d’une dissertation ? (Un silence dans la classe.)Bien, bien, bien ! Je vois que j’ai un succès fou avec ma question. Ne vous bousculez pas surtout, ça pourrait déclencher une émeute… (Elle cherche du regard.)  Tiens ! Kevin, qui a l’air de vouloir tant s’exprimer aujourd’hui, peux-tu répondre à cette question ?

 

Kevin

Heu ! L’introduction… Heu ça sert à introduire, quoi… Le développement, à développer et, heu… La conclusion, à conclure…

 

Mlle Blanc

(Avec ironie.)

Waouh ! Je vous demande tous d’applaudir le sens logique de Kevin qui nous surprendra toujours.

 

Toute la classe applaudit en riant. Louis lève le doigt à la grande surprise générale. Les rires et le chahut laissent place à un silence curieux.

 

Mlle Blanc

Louis ? Tu veux dire quelque chose ? Nous t’écoutons.

 

Louis

(Sur un ton monocorde et regardant toujours le plafond.)

L’introduction se compose d’une « entrée en matière » : il s’agit d’une phrase générale ayant un lien avec le sujet qui doit intéresser le lecteur et de l’annonce du plan qu’on va utiliser pour écrire le développement. Le développement se compose de plusieurs parties pour expliquer notre propos ou notre avis par rapport au sujet. La conclusion est le résultat de notre démonstration où on récapitule les propos du développement.

 

Louis se rassoit sans un mot en regardant toujours le plafond.

Un silence pesant règne dans la classe.

 

Mlle Blanc

(Un peu troublée et ne sachant que dire.)

Bien, Louis… C’est pas mal… C’est bien… A présent,… Nous allons essayer de mettre en pratique ces quelques règles…

 

Kevin

(Avec ironie, doucement à Corinne.)

Tu disais quoi tout à l’heure ? Qu’il était taré, c’est ça ?

 

La lumière de la classe vacille un peu puis descend doucement.

 

 

 

TABLEAU 4

 

La lumière monte doucement sur la cour du collège. Plusieurs élèves sont éparpillés par petits groupes. Louis est au centre, le nez toujours au ciel. Une fille se rapproche doucement de lui.

 

Coralie

Salut. Moi, c’est Coralie… (Un silence.) Tu as fait un sacré effet tout à l’heure en cour de français… Tu connaissais la réponse ou quoi ?...(Elle lève le nez au ciel comme Louis.) Qu’est-ce que tu regardes tout le temps comme ça ?

 

Louis

Les nuages. J’aime bien regarder les nuages.

 

Coralie

T’es bizarre comme garçon…

 

Louis

(Soudain toujours le nez au ciel.)

Regarde ! Un chien !

 

Coralie

Quoi ?

 

Louis

(En pointant du doigt le ciel.)

Là. Il y a un chien… Un chien qui joue avec un ballon…

 

Coralie

(En scrutant le ciel.)

Où ça ? Je ne vois rien.

 

Louis

(Même jeu.)

Là ! Le nuage, là !

 

Coralie

Ah, oui ! Je vois ! Un nuage qui ressemble à un chien. Mais je ne vois pas le ballon…

 

Louis

C’est le nuage juste à côté.

 

Coralie

Tu regardes souvent les nuages ?

 

Louis

J’aime regarder les nuages. Les nuages c’est comme un tableau dit ma mère. Il faut attendre en regardant bien et soudain on voit des choses apparaître qu’on n’avait pas vu avant.

 

Cindy et Agnès se sont rapprochées tout en gardant leur distance avec Coralie et Louis.

 

Cindy

Coralie, tu fais quoi, là ?

 

Coralie

Je regarde les nuages.

 

Agnès

(En attirant Coralie à elle.)

Faut qu’on te parle.

 

Coralie

Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

 

Agnès

Tu fais quoi avec lui, là ?

 

Coralie

Je fais connaissance, c’est tout. Il est nouveau, ici. Tu n’aimerais pas qu’on en fasse autant pour toi si tu débarquais à peine ?

 

Cindy

Non mais, t’a pas compris la question, là. Tu sais qui c’est, lui ?

 

Agnès

C’est un débile, ma vieille. Tout le monde en parle.

 

Coralie

S’il est si débile que ça, il n’aurait pas répondu juste tout à l’heure en français.

 

Cindy

Il était dans un centre spécialisé ou un truc comme ça, il paraît.

 

Agnès

Ouais, un centre pour handicapés ou inadaptés. Un asile, quoi !

 

Coralie

Et alors ?

 

Cindy

Ben, il est peut être fou dangereux, on ne sait jamais.

 

Coralie

(Agacée.)

Ca va bien dans vos têtes, les filles ? Vous croyez qu’on laisserait un fou, comme vous dites, venir au collège ? C’est n’importe quoi !

 

Cindy

Oh, ça va ! Calme-toi ! On disait ça comme ça, c’est tout.

 

Pendant que les discussions vont bon train entre Coralie, Cindy et Agnèès, dans un coin, Adam est en discussion avec Mlle Stark.

 

Mlle Stark

Dis-donc, Adam, qu’elle était la punition à laquelle tu as eu droit ?

 

Adam

(Blasé.)

Nettoyer les vestiaires de fond en comble.

 

Mlle Stark

De fond en comble, c’est bien ça. Et tu connais l’expression « de fond en comble » ?

 

Adam

Quoi ! J’ai nettoyé les vestiaires, non ? Ça ne suffit pas ?

 

Mlle Stark

Ah, oui ? Et les douches ? T’as vu l’état des douches ? Il y a encore de la terre partout.

 

Adam

Ce n’est pas de ma faute si les autres n’enlèvent jamais leur tennis pour aller dans les douches…

 

Mlle Stark

Un vestiaire est un endroit où forcément on laisse de la terre. On va sur le terrain, mon petit ami, on ne fait pas du foot en ballerines et en collants que je sache. Alors tu vas me faire le plaisir d’aller me nettoyer ces douches comme je te l’ai demandé.

 

Adam

(Rebelle.)

Il y en a marre. C’est jamais comme il faut, avec vous.

 

Mlle Stark

Adam, ne soit pas insolent une nouvelle fois si tu ne veux pas que je t’oblige à passer ton mercredi après-midi à retailler la pelouse du terrain aux ciseaux à papier. Compris ?

 

Adam

Ouais, ouais. Compris. Je vais les nettoyer vos douches.

 

Mlle Stark

J’espère bien. Vous êtes pas possible les garçons dans cette classe. Vous n’êtes pas nombreux mais alors, on a gagné le gros lot avec vous.

 

Adam

(Geste de la tête en direction de Coralie et ses camarades qui se disputent.)

Ils ont bon dos les garçons. Mais quand on regarde du côté des filles…

 

Mlle Stark

(Découvrant la dispute qui se déroule entre filles un peu plus loin.)

Allons bon. Qu’est-ce qui se passe encore, ici ?

 

Mlle Stark se place juste devant les filles qui se disputent. A côté, Louis s’est bouché les oreilles pour ne pas entendre.

 

Cindy

(A Coralie.)

T’es complètement hystérique ma pauvre fille !

 

Coralie

Non mais c’est vous qui êtes tordues.

 

Adam

Hé voyez, mademoiselle, il n’y a pas que les garçons qui sont des boulets.

 

Mlle Stark

(A Adam.)

Shut up boy! (Aux filles.)  Alors, les nanas, on organise une petite ligue de catch ou on s’en tient là ? (En faisant craquer ses mains.) Je commence avec laquelle ?

 

Les filles se calment soudain.

 

Mlle Stark

On peut savoir ce qu’il se passe ou c’est « private game for girls» ?

 

Cindy

C’est Coralie, mademoiselle, c’est elle qui a commencé.

 

Coralie

Du flanc, oui. Elles balancent n’importe quoi sur n’importe qui celles-là et après elles s’étonnent…

 

Mlle Stark

Elles balancent quoi ?

 

Coralie

Des trucs sur les autres… Trop nul…

 

Louis

(D’une voix sourde mais entendue de tous.)

Pas fou… Je ne suis pas fou… Pas fou… Pas fou…

 

Un silence pendant lequel les regards convergent sur Louis.

 

Mlle Stark

Je vois. Venez par ici les filles. Je crois qu’une petite explication s’impose. Allez ! Come on girls, with smile everybody, please !

 

Coralie

(Qui reste encore tournée vers Louis.)

Louis, Je suis désolée, je…

 

Mlle Stark

C’est valable pour toi, Coralie. Ramène-tes leggings par ici…

 

Coralie

(A Louis.)

Désolée… (Elle rejoint le reste du groupe.)

 

Louis

(Il se calme peu à peu.)

Pas fou… Pas fou… Pas fou…

 

Au même instant, Mlle Blanc et Mlle Adèlie passent dans la cour et rejoignent Mlle Stark.

 

Mlle Adélie

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

 

Mlle Stark

Une dispute entre filles. Je crois que s’était au sujet de Louis.

 

Mlle Adélie

Ca, c’était prévisible. Et je crois qu’on n’est pas au bout de nos peines avant que la classe ne s’y habitue.

 

Mlle Blanc

Ils s’habitueront avec le temps.

 

Mlle Adélie

Toujours aussi optimiste, toi.

 

Mlle Blanc

Et pourquoi pas ? Il est assez étonnant ce garçon. Il a répondu d’une façon très précise à une question en cours tout à l’heure. La classe a eu l’air bien surprise.

 

Mlle Adélie

Oui, mais les gosses à cet âge-là ne sont pas tendres. Tu le sais comme moi. Je crains le pire pour ce pauvre Louis.

 

Mlle Blanc

A nous d’y veiller. C’est bien ce qu’on a promis à sa mère, non ?

 

Mlle Adélie

Oui. Mais faudra peut-être qu’elle y mette du sien. Moi, je l’ai trouvé très sensible sur ce point.

 

Mlle Stark

Oui, je sais. Sorry. C’est de ma faute. Je n’ai pas utilisé le bon mot avec elle.

 

Mlle Adélie

Pas facile pour nous d’assumer un élève comme Louis. Personnellement, je me sens un peu larguée. Pas vous ?

 

Mlle Blanc

Je crois que nous allons apprendre beaucoup de chose sur cet enfant. Je propose qu’on se retrouve tout à l’heure à la bibliothèque. On se fait une petite recherche et on étudie ça. Ça vous va ?

 

Mlle Adélie

Ca marche pour moi.

 

Mlle Stark

Ok. A tout à l’heure, les filles. (S’adressant au groupe des filles qui s’est éloigné.) Hé ! Les starlettes là-bas. On attend maman Stark  pour les explications. Ça ne va pas être du casting, je vous préviens de suite. (Elle sort précédée de ses collègues.)

 

Soudain, derrière Louis, Kevin, qui était avec Sabina et Corinne, laisse tomber brusquement son téléphone portable.

 

Corinne

Ça va pas, non ?

 

Kevin

Arrête ! Il est super brûlant…

 

Sabina

Tu délires, toi. (Elle ramasse le téléphone portable et se brûle aussi.) Aïe ! C’est quoi ce plan ? Il est bouillant.

 

Corinne

(En prenant soin de ramasser le téléphone avec sa manche.)

Ah, ouais, il est encore chaud. Bizarre ! Ça doit être la batterie qui a du plomb dans l’aile…

 

La lumière descend doucement sur Louis qui reste immobile son visage tendu vers le ciel.

 

 

TABLEAU 5

 

La lumière monte doucement sur Louis et sa mère qui sont attablés.

 

La mère

Louis… Louis… Il faut que tu manges… Tu as besoin de prendre des forces… Maintenant que tu vas au collège comme les autres…

 

Louis

Je ne veux plus aller avec les autres.

 

La mère

Louis… Ce n’est que le début… Ce n’est pas facile, je sais…

 

Louis

Pas facile… Pas facile…

 

La mère

Je sais. Mais tu dois faire un effort aussi…

 

Louis

Les autres sont méchants. Comme des nuages noirs…

 

La mère

Il faut que tu comprennes, Louis, qu’ils ont besoin de temps pour accepter que tu sois…

 

Louis

Fou…

 

La mère

(Elle pâlit.)

Qu’est-ce que tu dis ?

 

Louis

Fou. Je suis fou…

 

La mère

Je t’interdis de dire ça…

 

Louis

(Il s’emporte.)

Fou, fou, fou, fou, fou, fou, fou,…

 

La mère

(Elle monte le ton.)

Arrête ça…

 

Louis

Fou, fou, fou, fou, fou, fou, fou,…

 

La mère

(Elle durcit le ton.)

Arrête, je te dis…

 

Louis

Fou, fou, fou, fou, fou,…

 

La mère

(Elle secoue Louis puis le prend dans ses bras.)

Arrête, arrête,… (La lumière vacille dans la pièce.)Tu n’es pas fou, Louis, tu n’es pas fou, tu es différent, tu entends ? Tu es différent…

 

Louis

(Qui s’est calmé.)

Comme les nuages…

 

La mère

Oui, voilà, c’est ça, comme les nuages…

 

Louis

Comme les nuages quand ils changent et qu’ils sont différents.

 

La mère

Oui, c’est ça, Louis. Ils sont différents.

 

Louis

Je suis fatigué. Je veux aller dans ma chambre.

 

La mère

Oui, tu peux y aller… (Louis sort.) N’oublie pas de te brosser les dents.

 

Voix off de Louis

(Qui s’éloigne.)

Et de me laver les mains. Les dents et les mains… Les dents et les mains…

 

La mère se prend le visage dans les mains puis lève les yeux vers la fenêtre. La lumière de la cuisine vacille et descend doucement.

 

 

 

TABLEAU 6

 

En classe, les enfants planchent sur des exercices de mathématiques. Mlle Adèlie flâne au milieu des tables en jetant de temps à autre un œil sur le travail de ses élèves.

 

Mlle Adèlie

(Regardant la copie de Sabina.)

Toujours pas copine avec les équations, toi.

 

Sabina

Je comprends rien de rien. Ça m’agace.

 

Mlle Adèlie

Tu t’énerves pour rien. Regarde… (Elle poursuit son explication à voix basse.)

 

Plus loin, Kevin copie discrètement le travail de Corinne qui au bout d’un moment le surprend.

 

Corinne

Ben, ça va, te gênes pas. Tu ne veux pas aussi que je fasse tes exercices à ta place ?

 

Kevin

Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

 

Corinne

Tu crois que je suis aveugle ou quoi ? Tu pompes sur moi depuis un moment…

 

Kevin

Vas-y, t’hallucine toi. Je ne copie pas.

 

Corinne

Ben, tiens. Tu fais quoi alors, penché comme ça sur mon côté ? Tu me fais un plan drague, peut être ?!

 

Kevin

Mais tu délires à « donf » ! Retire ce que tu viens de dure ou te plante avec le compas, moi.

 

Corinne

Hou ! J’ai peur. Je tremble. Minus, va !

 

Kevin

Hé, mais tu vas ramasser, toi !

 

Adam

Bon, c’est pas fini vous deux ? Il y en a qui bosse, ici.

 

Kevin

(A Adam.)

Ouais, mais vas-y. T’as le melon ? Depuis quand tu bosses, toi ?

 

Adam

Tu commences à me fiche la tête comme une pastèque si tu veux savoir.

 

Mlle Adèlie

(En se redressant depuis la table de Sabina.)

Ça va au fond, là ? Vous voulez que je vous aide ?

 

Corinne

C’est Kevin, mademoiselle, il m’empêche de travailler...

 

Kevin

(A Corinne.)

T’es boloss, toi ! J’ai rien fait !

 

Mlle Adèlie

(En venant jusqu’à Kevin pour voir sa copie.)

Ah, oui, tu as raison, kevin, tu n’as rien fait. Tu t’y mets quand ?

 

Kevin

(Avec un faux air de victime.)

Mais je comprends rien, madame…

 

Mlle Adèlie

Bon. Alors, tu vas t’asseoir à côté de Sabina qui ne comprend pas plus mais qui fait des efforts, elle, et Coralie vient à la table de Corinne qui, elle aussi, a envie de travailler. Allez, on échange les places et plus vite que ça !

 

Les élèves changent de place sans grande envie. Mlle Adèlie se penche de nouveau sur le travail de Sabina. A sa table, Louis ne fait plus rien depuis un moment. Il regarde le plafond.

 

Cindy

Hé ! Vous avez vu, Louis ?

 

Agnès

D’accord. Dites-moi après ça qu’il n’est pas givré celui-là…

 

Cindy

(A Agnès.)

T’as rien compris aux explications de la prof de sport, toi.

 

Agnès

Attends, ne me dis pas que c’est normal, ça.

 

Adam

Justement. Il n’est pas comme nous. Il est dans son monde.

 

Cindy

Ok, mais il redescend quand de sa planète ?

 

Coralie

Il est comme ça, on t’a expliqué. Ça ne veut pas dire qu’il est zinzin.

 

Agnès

Ben, je ne sais pas trop parce que quand on se balance comme ça sur sa chaise avec le nez en l’air c’est qu’il y a un problème quelque part.

 

Adam

Il bouge de cette façon pour se rassurer. Le monde qui l’entoure lui fait peur.

 

Cindy

C’est qu’il est tout le temps flippé, alors…

 

Coralie

C’est ça. Il ne le comprend pas. Tout est trop compliqué, bruyant, agressif, pour lui.

 

Agnès

(Froissant une boule de papier.)

Attends, je fais te le faire redescendre, moi.

 

Adam

Qu’est-ce que tu fais ? T’es malade ou quoi ?

 

Agnès jette la boulette de papier à la tête de Louis qui pousse une petite plainte.

Mlle Adèlie se redresse soudain.

 

Mlle Adèlie

Qu’est-ce qui se passe, Louis ?

 

Louis

Il y a des choses qui tombent du ciel.

 

Quelques rires étouffés dans la classe.

 

Mlle Adèlie

(A la classe.)

Silence, vous autres. Finissez-moi ce travail. (Elle se rapproche de Louis.) Tu as fini, Louis ?

 

Louis

(Il tend sa feuille d’exercices à Mlle Adèlie.)

Fini, comme « pluie » mais ça s’écrit pas pareil.

 

Rires dans la classe.

 

Mlle Adèlie

(A la classe.)

Silence, vous autres ! Finissez votre travail au lieu de rire bêtement ! (Changeant de mine en parcourant la feuille de Louis.) Mais, c’est… Incroyable… (Elle saisit sa calculette avec fébrilité sous l’œil curieux mais discret du reste de la classe puis parcourt des yeux la copie. Louis n’a pas quitté le plafond des yeux.) Juste… Juste… Correct… (Très décontenancée.) C’est bien. Louis… C’est… Je ferai les corrections plus tard… (A haute voix, en s’adressant au reste de la classe.) Bien. Terminé pour aujourd’hui. Rendez-moi vos exercices, je jetterai un œil dessus.

 

Les élèves viennent un par un jusqu’au bureau de Mlle Adèlie pour remettre leur devoir.

 

Sabina

(A Coralie.)

Qu’est-ce qu’elle avait la prof ?

 

Coralie

Je ne sais pas. Elle avait l’air surprise en regardant le devoir de Louis.

 

Sabina

Il avait déjà tout fini ou quoi ?

 

Coralie

(En se levant.)

Attends, bouge pas, je vais aller voir.

 

Coralie vient déposer sa feuille sur le bureau en jetant un œil sur le devoir de Louis que Mlle Adèlie continue de vérifier puis, totalement abasourdie, elle revient à sa place.

 

Sabina

Qu’est-ce que tu as ?

 

Coralie

Je n’en suis pas sûre, mais je crois que Louis a tout juste.

 

Sabina

Quoi ? C’est impossible. Même toi qui es super forte en math, t’as jamais tout juste.

 

Coralie

Je te jure. Elle corrigeait la dernière équation, je connaissais le résultat, il est juste et tout le reste était déjà  bon.

 

Sabina

Cette « hallu » !

 

Mlle Adèlie

(Un peu perdue et fébrile.)

Bien… Comme promis, nous allons passer à autre chose… Un peu de pratique ne fera de mal à personne. (Elle disparaît dans l’arrière classe sous l’œil intrigué des élèves puis revient avec un objet assez grand et recouvert d’un linge.)

 

Adam

C’est quoi, mademoiselle ?

 

Mlle Adèlie

Ha, ha, je vois qu’on est curieux. Et bien cet étrange objet va nous servir pour imager la leçon sur l’électricité.

 

Mlle Adèlie retire le linge qui couvrait l’objet. Celui-ci ressemble à une plante dont chaque branche se termine par une petite ampoule. Puis elle appuie un petit interrupteur qui illumine tout l’objet sous les exclamations émerveillées des élèves.

 

Adam

Wouah ! C’est « kiffé » votre machin, mademoiselle.

 

Mlle Adèlie

N’est-ce pas ? Qui peut imaginer quel est cet objet ?

 

Corinne

Une lampe de chevet ?

 

Kevin

Une guirlande de Noël ?

 

Mlle Adèlie

Pas tout à fait mais c’est le même procédé.

 

Louis

(Comme fasciné par l’objet.)

Un arbre électrique !

 

Rires dans la classe. Tout le monde observe Louis qui se rapproche de l’objet.

 

Mlle Adèlie

Oui, Louis, c’est vrai que ça ressemble à un arbre…

 

Louis

Un arbre électrique. Il a de l’électricité parce que l’arbre peut toucher les nuages et que les nuages fabriquent l’électricité.

 

Mlle Adèlie

Et bien, je vois que Louis est déjà prêt à nous faire la leçon sur l’électricité… Bien. Chacun devra justement fabriquer son « arbre électrique »… puisque Louis l’a baptisé ainsi. Vous vous mettrez par deux pour réaliser ce projet.

 

Dans un brouhaha fébrile, tous les élèves se mettent par deux sauf Coralie. Louis, de son côté, est resté fasciné devant l’arbre électrique.

 

Mlle Adèlie

Bien. Tout le monde s’est décidé ? Coralie, tu te mets avec qui ?

 

Coralie

Avec Louis, mademoiselle.

 

Nouveau silence stupéfait dans la classe.

 

Mlle Adélie

(Légèrement troublée.)

Bien,… Bien Coralie,… Je suis contente de ta décision… Tu montres l’exemple. Enfin, si Louis est d’accord.

 

Coralie

Tu es d’accord, Louis ? On le fabrique ensemble cet arbre électrique ?

 

Louis lève le regard au plafond.  Il est très gêné, se contorsionne les mains en se balançant légèrement et ne répond pas. La lumière de l’arbre électrique vacille et descend doucement avec celle de la classe.

 

 

 

TABLEAU 7

 

Séance de gymnastique avec Mlle Stark.

 

Mlle Stark

Lets go kids! Allez, allez! On résiste, on tient bon ! On assouplit tout ça ! On respire Sabina sinon tu vas mourir ma grande. Allez Cindy, on n’est pas à un défilé de mode... Voilà, on stoppe, on souffle ! On souffle !

 

Louis continue ses mouvements.

 

Adam

(Qui a remarqué que Louis poursuivait.)

Heu, mademoiselle…

 

Mlle Stark

Oui, Adam ?

 

Adam

Je crois que Louis est en boucle, là !

 

Tout le groupe explose de rire.

 

Mlle Stark

Ah ! Yes, Louis ! C’est bon là ! Tu peux t’arrêter mon grand. (Elle est obligée de le maintenir.) Stop, j’ai dit. Temps mort.

 

Louis

(Essoufflé.)

J’ai gagné ?

 

Mlle Stark

Reprends ta respiration. T’en a fait plus que les autres, là. On se calme. (S’adressant au groupe.) Bien, à présent petit entrainement au hand. Placez-moi les buts. Chacun passe au poste de gardien.

 

Les élèves se disposent en file indienne. La série de tirs au but peut commencer.

 

Mlle Stark

Allez ! Un peu de détente, les filles, là ! Voilà ! C’est ça !

 

Vient le tour de Louis. Ce dernier prend son élan mais au dernier moment, il se contente de faire une passe simple au gardien. Rires de la classe.

 

Mlle Stark

Be quiet kids! Arrêtez de rire bêtement ! (A Louis.) Bon, mon petit gars, tu as vu faire tes camarades ? Alors c’est simple. Il te suffit de faire comme eux.

 

Louis

C’est simple… (Il reprend sa place à quelques distances du gardien.)

 

Mlle Stark

Bien. Allez recommence.

 

Même jeu de Louis qui s’arrête au dernier moment pour effectuer une place simple. Nouveaux rires et applaudissements de ses camarades. Louis lève les bras au ciel comme un gagnant.

 

Mlle Stark

Bon, je crois que tu n’as pas tout saisi. Tu dois marquer le but, Louis. Tu ne dois pas te contenter de passer la balle au gardien. Tu comprends ?

 

Louis

Compris…  Ne pas passer la balle au gardien…

 

Mlle Stark

Voilà, c’est ça. Allez, recommence.

 

Louis reprend sa place puis, en driblant, il feinte le gardien et entre dans les buts. Ovation du groupe d’élèves qui s’amuse beaucoup de la situation.

 

Mlle Stark

(Désolée.)

Bon. On a progressé mais ce n’est pas encore tout à fait ça, mon Louis. Il faut projeter la balle en l’air…

 

Louis

Vers les nuages ?

 

Mlle Stark

Non, vers le gardien. Oh ! J’ai une idée. Mets-toi en place. Imagine que le gardien est un nuage.

 

Louis

Le gardien est un nuage ?

 

Mlle Stark

Oui. Voilà. Mais toi, tu ne veux pas toucher le nuage, tu veux l’éviter. Tu comprends ?

 

Louis

J’ai compris.

 

Louis s’élance, fait un bond et projette la balle d’un jet puissant qui feinte le gardien. Nouvelle ovation de tout le groupe.

 

Mlle Stark

Et bien voilà, Louis, ce n’était pas si compliqué.

 

Louis

J’ai gagné ?

 

Mlle Stark

Oui. Là, on peut dire que tu as gagné. Allez, ce sera tout pour aujourd’hui. Tout le monde au vestiaire !

 

Les élèves se dirigent vers les vestiaires. Louis ouvre son armoire de rangement et tout le contenu de celle-ci se déverse au sol. Ne supportant pas ce désordre, Louis panique et entre en crise. De rage, il jette violemment toutes ses affaires dans le vestiaire sous l’œil un peu décontenancé et effrayé des autres.

 

Mlle Stark

Et bien, et bien, que se passe-t-il ici ?

 

Coralie

On ne sait pas. Quand Louis a ouvert son armoire, il s’est mis dans cet état…

 

Mlle Stark

(Obligée de maintenir Louis.)

Allons, allons, Louis calme-toi, calme-toi ! On va ranger tout ça.

 

Louis

(Très agité en se balançant les yeux rivés au plafond.)

Tout en désordre… Tout en désordre…

 

Adam

Elle était bien rangée son armoire, tout à l’heure.

 

Mlle Stark

Tu m’enlèves les mots de la bouche, Adam. En effet, l’armoire de Louis était même extrêmement bien rangée comme à son habitude. J’en conclue donc, que l’un d’entre vous s’est amusé à faire cette mauvaise farce à Louis.

 

Les élèves se dévisagent les uns et les autres.

 

Louis

(Dans le même état.)

Tout en désordre… Tout en désordre…

 

Mlle Stark

J’attends donc que le coupable se désigne. (Un silence.) Je vois. J’attendrai jusqu’à à la fin de la journée pour que l’auteur de cette ânerie vienne se dénoncer. Dans le cas inverse, toute la classe sera collée le mercredi après-midi pour nettoyer les vestiaires. (Elle sort avec Louis.)

 

Coralie, aidée d’Agnès et Cindy, a commencé à ranger l’armoire de Louis. Adam fixe étrangement Kevin qui continue de se changer comme si rien ne s’était passé.

 

Adam

(A Kevin.)

C’est toi qui a quitté les vestiaires en dernier si je me souviens bien.

 

Kevin

Quoi ? T’es malade toi ?

 

Adam

Oh, non. J’ai bien vu. Puis tu as mis beaucoup de temps à venir nous rejoindre sur le terrain.

 

Kevin

(Menaçant.)

Hé, qu’est-ce que tu veux dire, là ?

 

Adam

Ouais. Ne commence pas à faire les gros bras. Juste avant que tous les autres ne sortent des vestiaires, il ne restait plus que Louis et toi. Louis est arrivé d’abord, toi, après…

 

Kevin

Et alors ?

 

Adam

Et alors. Je suis certain que c’est toi qui as fait le coup. Ce serait qui d’autre sinon ?

 

Kevin

(En saisissant Adam par le tee-shirt.)

Toi, tu vas ramasser mon petit père.

 

Adam

(Tentant de se dégager.)

Tu me lâche, ok ?

 

Les garçons se bagarrent.

 

Corinne

(Qui tente de les séparer.)

Hé ! C’est pas fini vous deux ?

 

On sépare les garçons.

 

Kevin

C’est lui qui a commencé à m’accuser.

 

Corinne

Ok. Maintenant, ça suffit. Si la prof revient on est bon pour la colle tous les mercredis.

 

Kevin

Je m’en fous de la prof. Elle a qu’à crever…

 

Corinne

(A Adam.)

Et toi ? Qu’est-ce qu’il te prend d’accuser les autres sans preuve ?

 

Sabina

Ouais. Pourtant Adam dit vrai. C’est Kevin qui est sorti le dernier.

 

Kevin

Hé, poufiasse, tu me cherches là ?

 

Corinne

Arrêtez ça, j’ai dit ! On va se faire massacrer par la prof si vous continuez !

 

Cindy

De toute façon, c’est toujours pareil. Le coupable ne se désignera jamais. Trop lâche…

 

Les élèves se séparent et sortent dans une atmosphère très tendue sauf Coralie, Corinne et Cindy qui poursuivent le rangement de l’armoire de Louis.

 

Corinne

Je n’avais jamais vu Louis dans cet état. J’ai eu peur.

 

Coralie

Faut pas. C’est sa façon à lui d’exprimer sa colère.

 

Corinne

Ouais, mais c’est violent. Vous ne trouvez pas ?

 

Cindy

C’est plus violent que Kevin quand il fait son cinéma.

 

Corinne

Vous pensez vous aussi que c’est lui qui a fait ce coup là à Louis ?

 

Cindy

Moi, ça ne m’étonnerait pas. Depuis le début, il n’arrête pas de le charger.

 

Coralie

Ça n’a rien à voir. Kevin est un gros froussard. Il se moque de Louis parce qu’il a la trouille de son comportement.

Il n’est pas assez intelligent pour faire ce genre de coup vicieux.

 

Mlle Stark revient avec Louis.

 

Mlle Stark

Je peux laisser Louis avec vous un instant les filles ?

 

Cindy

Pas de problème. On vous attend.

 

Mlle Stark

Merci. Je reviens dans un instant. (Elle sort.)

 

Un moment de silence ou les filles ne savent pas trop comment réagir devant le mutisme de Louis.

 

Cindy

(En se rapprochant doucement de Louis.)

Louis ? Tu veux bien m’aider ? Je ne sais pas comment ranger ces affaires dans ton armoire. Toi, tu dois savoir…

 

Louis

(En prenant les affaires des mains de Cindy.)

Faut toujours bien ranger ces affaires… (Il se dirige vers l’armoire et commence son rangement avec une grande précision.)

Cindy

(Avec un sourire en se tournant vers ses camarades.)

Bon. Ben, suffisait de demander à Louis.

 

Louis

Il faut savoir bien ranger. C’est bien de bien ranger ses affaires.

 

Cindy

Prenez-en de la graine. Leçon de rangement par Louis. Je devrais l’emmener chez moi pour mettre de l’ordre dans ma chambre. C’est ma mère qui serait contente.

 

Les filles rient un peu. L’atmosphère se détend. Agnès apparait.

 

Agnès

Qu’est-ce que vous faites ?

 

Cindy

On prend une leçon de rangement par Louis. Tu étais où ?

 

Agnès

Je finissais de me changer.

 

Cindy

Reste pas là comme une potiche et viens nous aider.

 

Agnès

Faut faire quoi ?

 

Cindy

Passe-nous les affaires qui trainent là.

 

Agnès ramasse timidement quelques affaires et les tend à Louis. Le garçon la regarde droit dans les yeux. La lumière des vestiaires vacille. Agnès, dérangée par le regard sans expression de Louis, fait demi-tour et sort rapidement.

 

Cindy

Qu’est-ce qu’il lui prend ?

 

Coralie

J’ai l’impression qu’il n’y a pas que Kevin que Louis impressionne.

 

Cindy

Une vraie terreur,  ce Louis.

 

Les filles rient un peu, amusées de cette répartie. Louis regarde à nouveau au plafond et reprend le rangement de son armoire. La lumière descend tout doucement sur les vestiaires.

 

 

 

TABLEAU 8

 

A l’entrée du collège, Louis attend qu’on vienne le chercher. Ils comptent les nuages.

 

Louis

Quatre… Cinq… Six figures dans les nuages… Plus… Un… Deux… Trois… (Il s’arrête de compter lorsqu’il aperçoit Sabine et Agnès qui approchent.)

 

Sabine

Et voilà, mon père n’est toujours pas là. Je sens que je vais poireauter encore aujourd’hui.

 

Agnès

Moi, je poireaute tout le temps. Ma mère n’arrive jamais à quitter son travail à l’heure.

 

Sabine

(Avec un soupir.)

C’est la vie mon kiki !

 

Agnès

(Qui a remarqué que Louis la surveillait du coin de l’œil.)

Qu’est-ce qu’il a à mater, lui ! Il veut ma photo ?

 

Sabine

Cool, Agnès ! Tu sais comment il est, non ? (A Louis.) T’attends ta mère, Louis ?

 

Louis ne réponds pas et regarde le ciel.

 

Agnès

Complètement débile, lui.

 

Sabine

Hé ! Mais ça va ! T’es pas obligée de le traiter comme ça !

 

Un silence. Louis fixe à nouveau Agnès.

 

Agnès

(Agressive, à Louis)

Hé, t’arrête ça, toi ! Va voir ailleurs si j’y suis !

 

Sabine

(A Agnès.)

Ne fais pas attention, c’est tout.

 

Agnès

(Dans une soudaine colère.)

Mais regarde-le, regarde ! (Elle avance sur louis.) Qu’est-ce que j’ai dit ? T’es bouché ? Arrête de me regarder !

 

Sabine

(A Agnès en essayant de la retenir)

Laisse tomber, je te dis.

 

Louis

Toi, t’es méchante. C’est tout. Méchante. Vilaine.

 

Agnès

(Enragée.)

Qu’est-ce que t’as dit ?(En secouant brutalement Louis.) Répète ! Répète pour voir !

 

Sabine

(Essayant toujours de la retenir.)

Mais  arrête je te dis ! T’es folle ou quoi ?

 

Louis

(Hurle presque.)

Méchante. Sale méchante.

 

Agnès

(Même jeu.)

Espèce de taré ! (Elle repousse violemment Louis qui tombe à terre en hurlant.)

 

Soudaine apparition de la mère de Louis.

 

La mère

Hé, ho ! Ça ne va pas, toi ? (A Louis.) Louis ? Louis, tu as mal ?

 

Louis

(En se réfugiant dans les bras de sa mère.)

Méchante, méchante !

 

Agnès

C’est ça, va te réfugier dans les bras de ta maman. Pauvre taré.

 

La mère

(Elle laisse Louis pour avancer furieuse sur Agnès.)

Non mais qu’est-ce qu’il te prend, tu es malade ou quoi ?

 

Agnès

C’est pas moi la malade. C’est lui.

 

La mère

(Furieuse.)

Qu’est-ce qu’il t’a fait ? Il t’a rien fait. J’ai tout vu. Je n’étais pas loin. Salle gosse, va !

 

Agnès

Il fait qu’il n’arrête pas de me prendre la tête.

 

La mère

Ce n’est pas une raison. On ne brutalise pas les gens comme ça. (A Louis.) Allez viens Louis. (A Agnès.)Tu entendras parler de moi. C’est moi qui te le dis. (Elle s’éloigne avec Louis.)

 

Sabine

Bravo ! Tu as gagné le gros lot. Tu vas dérouiller, ma grande !

 

Agnès

Oh, toi, ça va !

 

Sabine

Je peux savoir ce qu’il t’a fait pour que tu t’en prennes à lui comme ça ?

 

Agnès

(Très agacée.)

C’est bon ? Toi aussi, tu vas te mettre à me faire la morale ?

 

Un silence. Sabine fixe Agnès d’un regard soupçonneux.

 

Sabine

C’est toi.

 

Agnès

Quoi ?

 

Sabine

C’est toi le coup de l’armoire dans les vestiaires.

 

Agnès

Mais foutez moi la paix ! (Elle s’éloigne et disparaît.)

 

Sabine

C’est elle.

 

 

 

TABLEAU 9

 

Louis et sa mère sont attablés pour le diner.

 

La mère

Qu’est-ce qu’il s’est passé avec cette fille ? Comment elle s’appelle déjà ?

 

Louis

Agnès… Grosses fesses, Agnès.

 

La mère

(Elle retient une grosse envie de rire.)

Faut pas dire ça… Faut pas, Louis.

 

Louis

Pourquoi, c’est marrant. Et ça rime comme Louis et pluie. Sauf que ça s’écrit pas pareil : Agnès et grosses fesses.

 

La mère

(A bord du fou rire.)

Arrête, je te dis. Louis, c’est pas sérieux.

 

Louis

C’est marrant. Toi aussi, tu ris.

 

La mère

Allez, mange. Ca va être tout froid.

 

Louis

Tout froid. Tout froid.

 

Le dîner se poursuit en silence. On entend la pluie qui tombe dehors. Louis se lève et va jusqu’à la fenêtre.

 

Louis

Oh ! La pluie. La pluie comme Louis.

 

La mère

Oui. Fait pas très beau, tu vois… Louis, reviens, tu n’as pas terminé ton assiette !

 

Louis

Oui. (Toujours à la fenêtre.)  Moi, j’aime regarder la pluie. Parce qu’elle tombe des nuages. Ils sont gros les nuages.

 

La mère

Oui. Très. (Doucement.) Louis… Ton repas.

 

Louis

C’est là qu’il est ? Dans les nuages ?

 

La mère

(Son visage s’éteint.)

Qui ?

 

Louis

Papa.

 

Un silence. La mère est troublée.

La mère

Oui. C’est là qu’il est.

 

Louis

Ca doit être cool !

 

La mère

(Les larmes montent aux yeux.)

Oui… Sans doute…

 

Louis revient s’asseoir. La mère essaie de cacher ses larmes. Louis la regarde.

 

Louis

(Etonné en montrant du doigt sa mère.)

Il y a de la pluie dans tes yeux ! Les yeux c’est comme les nuages.

 

Louis regarde par la fenêtre tout en mangeant. La mère regarde Louis en silence. La lumière de la cuisine vacille et descend doucement.

 

 

 

TABLEAU 10

 

Plus tard, au collège, Mlle Blanc, Mlle Adèlie et Mlle Stark sont en discussion avec la mère de Louis.

 

Mlle Blanc

Madame, nous veillerons à ce que cette élève change de comportement avec Louis. Au fond, Agnès n’est pas une mauvaise fille. Elle met du temps à comprendre. Louis l’impressionne. Elle est maladroite et ne sait pas s’y prendre.

 

La mère

(Contrariée.)

Mais qui me dit que ça ne recommencera pas avec un autre ? A cet âge, vous savez…

 

Mlle Adèlie

Vous savez, madame, si vous voulez que votre enfant reprenne une vie scolaire normale, il faut lui expliquer que parfois il peut arriver quelques petites disputes entre élèves. Ce n’est pas nouveau.

 

La mère

Dispute ? Vous appelez une petite dispute l’agressivité dont a fait preuve cette gosse ?

 

Mlle Stark

Ouf ! Si vous étiez à notre place, vous seriez horrifiée alors de ce dont nous sommes témoins, madame. La cours de récréation ressemble parfois à un vrai ring de boxe.

 

Mlle Blanc

En tout cas je ne vous encourage pas à porter plainte comme vous l’envisagez. Je ne pense pas que c’est une solution.

 

La mère

Je ne porterai pas plainte. J’ai parlé sous le coup de la colère. J’espère seulement que cela ne se reproduira plus.

 

Adam, Coralie et Corinne entrent en trombe dans la classe.

 

Mlle Adélie

(Aux élèves avec autorité.)

Et alors ? On frappe avant d’entrer. Vous ne voyez pas qu’on est occupé ?

 

Adam

C’est Louis, mademoiselle.

 

Mlle Adélie

Et bien, qu’y-a-t-il ?

 

Coralie

On ne le trouve plus.

 

La mère

Qu’est-ce qu’elle dit ?

 

Mlle Blanc

Qu’est-ce que vous racontez ? On ne disparait pas comme ça.

 

Mlle Stark

Bon, bon, on se calme. Il n’y a pas le feu au lac. Vous étiez où, vous ?

 

Coralie

Aux vestiaires. En train de les nettoyer comme vous l’avez demandé.

 

Corinne

Louis est venu nous voir. Il était là, avec nous. Il a même voulu nous aider. Puis soudain, il a disparu. On l’a cherché. On ne sait pas où il est allé.

 

Mlle Adélie

Il ne doit pas être bien loin. Nous sommes mercredi. Il n’y a personne dans l’établissement à part nous.

 

Mlle Stark

Bon. Allez, on s’organise. Tout le monde dehors, get out everybody, nous allons le chercher tous ensemble. On va bien le trouver.

 

Mlle Stark sort avec les élèves.

Mlle Blanc

(A la mère.)

Il a l’habitude de disparaître comme ça ?

 

La mère

(Inquiète.)

Non… Enfin… C’est arrivé une fois… A la mort de son père… Il a fait une fugue, mais…(Réalisant soudain avec effroi.)

Oh, mon dieu, j’oubliais, c’est aujourd’hui…

 

Mlle blanc

Quoi ?

 

La mère

La date anniversaire de la disparition de mon mari…

 

Mlle Adèlie

Allons rejoindre les autres. Il faut le retrouver. (Elle sort.)

 

La mère

Il en parlait hier soir, à table. Je n’ai pas fait attention… Je ne pensais pas… Quelle idiote…

 

Mlle Blanc

Ne vous en faites pas. Ce n’est peut être rien. Il n’est peut être pas loin.

 

La mère

Je n’ai pas fais attention… j’aurai dû… Je…

 

On entend la pluie au dehors. La lumière descend doucement sur la classe.

 

 

 

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