SABBAT CARNEVALE 3 Juil. 2017
SABBAT CARNEVALE
De Gianmarco Toto
Tableau 1
Une place de village. L’entrée d’un chapiteau vétuste mais joliment décoré. Des jeunes filles, les artistes de la troupe, entrent en musique et se disposent lentement dans l’espace. La dernière jeune fille se place au milieu. Elle semble être la directrice de la troupe.
Lucida : - Mesdames et messieurs, je me nomme Lucida. Je suis fière et heureuse de vous présenter la troupe du cirque Carnevale qui se produira prochainement dans votre charmant village. Mais attention, ne croyez pas que le cirque Carnevale est un cirque ordinaire. Ne vous attendez pas à découvrir clowns, acrobates, jongleurs et dompteurs. Le cirque Carnevale vous offrira bien plus car il est le cirque du rêve, de l’étrange et de la magie. Laissez-moi vous présenter les artistes qui le composent.
Tout d’abord, voici Oana et Miruna, les filles de l’eau. Maîtresses de l’onde et des rivières, elles feront jaillir devant vous les sources les plus cachées et les plus magiques. Luminita et Stella vous dévoileront leurs talents de magiciennes de la lumière. Sorina, Sanda et Narcisa ne craignent pas l’obscurité car elles sont maîtresses des ombres et vous feront frémir grâce à leurs obscurs pouvoirs. Andreea contrôle le feu, entre ses mains il est aussi dangereux que bénéfique. Crina vous fera la démonstration de son pouvoir sur le son, grâce à sa voix incomparable. Cosmina maîtrise le monde des rêves et des cauchemars. Mesdames et messieurs, je vous prie d’applaudir ces jeunes artistes qui, ces prochains jours, devront se préparer à vous offrir un spectacle inoubliable. (Applaudissements) Mais elles ne le feront pas seules, car le cirque Carnevale choisit traditionnellement une assistante parmi son honorable public. Elle aura la chance de participer à différents numéros et franchira les rideaux qui voilent les secrets de notre cirque.
(Tout en s’approchant du public.) Voyons. Y-a-t ‘il parmi vous une volontaire, une audacieuse qui oserait nous rejoindre au sein de notre troupe ?
(Soudain une jeune fille se dresse dans l’assistance et rejoint rapidement la troupe.)
Louisa : - Moi… Moi… Je veux… Je voudrai faire partie de votre spectacle… (Visiblement émotionnée, elle sourit timidement.) … Enfin, si vous le permettez…
Lucida : - Toi ? Jeune fille ?
Louisa : - Oui… C’est un rêve… Enfin, depuis toute petite, j’ai toujours voulu faire partie d’un cirque ou d’une troupe… Etre une artiste, quoi…
Lucida : (Elle tourne étrangement autour de Louisa.) – Quel est ton nom, jeune fille ?
Louisa : - Louisa…
Lucida : - Et bien, Louisa, ce n’est pas à moi de décider si tu pourras ou non participer à notre spectacle… Il te faudra, comme tout artiste digne de ce nom, beaucoup travailler et te donner de la peine,… Es-tu prête à faire ce sacrifice, à te montrer courageuse et déterminée ?
Louisa : - Je suis prête.
Lucida : - Mmm… Hélas, ta parole ne suffit pas. Et nous allons te faire passer la première épreuve. Ou plutôt, c’est Andrea, notre voyante télépathe, qui va sonder ton esprit et deviner si tu seras capable de te joindre à nous. (Au public.) Mesdames et messieurs, je vous demande d’encourager Louisa par vos applaudissements.
Andrea s’avance étrangement vers Louisa qui n’ose plus faire un mouvement. Elle tend un jeu de tarots à la jeune volontaire.
Andrea: - Choisi une carte, jeune Louisa, mais choisi bien et ne nous la montre surtout pas.
Louisa choisit une carte et la serre contre sa poitrine.
Louisa : - Voilà,… Qu’est-ce qu’il faut faire à présent ?
Andrea : - A présent, pose-la, face cachée, sur ce coussin afin que tous voient qu’il n’y a aucune tricherie.
Louisa pose la carte sur le coussin que Andrea lui présente. La jeune artiste tend sa main au dessus de la carte et ferme les yeux. Puis soudain, elle retire vivement sa main comme si la carte était brûlante. Autour, les autres artistes ont esquissé un mouvement de surprise.
Lucida : - Andrea ? Que se passe-t-il ?
Andrea : - Il me faut encore un peu de temps. (Elle ferme les yeux à nouveau et replace sa main au dessus de la carte.)
Lucida : - (En s’adressant au public.) Mesdames et messieurs, l’instant est crucial. Andrea se concentre de nouveau. Que va-t-elle nous révéler sur Louisa ?
Un silence pendant lequel la voyante poursuit sa concentration.
Andrea : - Je vois… Je vois de l’empathie, un grand savoir, de l’intuition… Je vois la patience, la stabilité, la capacité à communiquer, la modestie,… Je vois la carte de « La prêtresse ».
Le reste de la troupe échange des regards étranges. Lucida se saisit de la carte et la retourne vers le public.
Lucida : - Extraordinaire, mesdames et messieurs. Andrea a deviné la carte tirée au sort par Louisa. C’est bien la carte qui représente la prêtresse. Nous pouvons l’applaudir. (Applaudissements.) A présent, Louisa, cette épreuve confirme ta participation à notre prochain spectacle. Il est temps pour nous de retourner à notre tâche et nous préparer à cette représentation à laquelle nous espérons que vous viendrez nombreux.
La troupe salue le public. Louisa, amusée, salue de même. On entend quelques applaudissements. La rumeur du public s’éloigne. Les artistes du cirque Carnevale disparaissent derrière le rideau. Lucida, Andrea et Louisa restent seules.
Tableau 2
Lucida, aidée d’Andrea, s’assoit sur un siège. Andrea pose une couverture sur les épaules de Lucida. Louisa les observe sans oser prononcer un mot.
Lucida : - Les nuits sont de plus en plus fraîches, n’est-ce pas ?
Louisa : - (Timidement.) Oui… C’est vrai… Bientôt l’hiver…
Lucida : - Alors, Louisa, es-tu contente de partager un peu notre existence ?
Louisa : - (Enthousiaste.) Oh, oui. Je n’y crois pas encore. Tout ça est tellement soudain… Jamais je n’aurais pensé que…
Lucida : - Ton enthousiasme suffit amplement à nous convaincre. Mais tu dois comprendre que la préparation d’un numéro n’est pas une tâche aisée. Toutes les artistes du cirque Carnevale passent beaucoup de temps à s’entraîner.
Louisa : - Je passerai aussi le temps qu’il faudra. Je vous le promets…
Andrea : - (Etrange.) Attention aux promesses données, jeune Louisa. Il faut les respecter sinon elles pourraient très bien se retourner contre toi.
Louisa : - (A Lucida.) Qu’est-ce qu’elle veut dire ?
Lucida : - Ne fais pas attention. Ma sœur est une personne de très bon conseil mais ses paroles sont parfois un peu difficiles à comprendre…
Andrea : - Chacun a sa complexité… N’est-ce pas Louisa ?
Louisa : - Et là, encore, quelle étrange façon de parler…
Lucida : - C’est sans doute parce que tu ne nous as pas tout dit, Louisa.
Louisa : - Tout dit ?...
Andrea: - Sur ta famille par exemple… Tes parents… Où sont tes parents ? Ils n’ont pas voulu t’accompagner voir la parade ?
Louisa : - Ils n’aiment pas le cirque. Ils me reprochent d’être trop rêveuse et de ne penser qu’à devenir une artiste… Ils disent que ce n’est pas un métier… Qu’il faut que je pense à avoir une bonne situation…
Lucida : - Et ils ont raison… Artiste, ce n’est pas un métier, c’est un choix de vie… Je te l’ai dit… Il faut accepter beaucoup de sacrifices. Il ne faut pas avoir peur de vivre humblement. Les jours difficiles sont notre lot. Nous ne mangeons pas tout le temps à notre faim mais nous avons appris à résister. Penses-tu que tu es prête à vivre ça ?
Louisa : - Je ne sais pas mais c’est mon désir le plus cher…
Lucida : - A partir de demain, tu pourras en juger par toi même. Je te donne rendez-vous, ici, nous commencerons ta préparation. Sois à l’heure…
Louisa : - Je serai à l’heure. C’est promis. (Andrea avec un sourire.) Bonsoir. A demain… (Elle disparaît.)
Lucida : - (A Andrea qui suivait du regard Louisa s’éloigner) Qu’est-ce que tu as vu encore ?
Andrea : - Je ne sais pas, c’est étrange… Il faut du temps…
Lucida : - Tu penses que c’est possible ?
Andrea : - Je ne suis sûre de rien… Je préfère rester prudente… Nous avons tellement attendu et essuyé tant de déceptions…
Lucida : - (En s’éloignant suivie d’Andrea.) Tu feras comme tu le sens… Comme d’habitude, ma sœur, comme d’habitude…
Elles sortent.
Tableau 3
Miruna apparaît. Elle tient un objet caché contre elle. Elle épie à droite et à gauche puis se cache dans un recoin.
Oana entre brusquement la mine agacée.
Oana : - Miruna ! Miruna, sors de ta cachette et rends-moi ce que tu m’as pris. Je sais que tu es là ! Arrête ça, s’il te plaît !
Luminita et Stella entrent à leur tour.
Luminita : - (Amusée.) Et bien, Oana, ta filleule te joue encore des tours ?
Stella : - Elle a encore dérobé quelque chose, je présume.
Oana : - Cette enfant me fera perdre la tête. Je ne sais plus quoi faire. Elle ne peut jamais s’empêcher de voler mes affaires.
Stella : - Tu es trop dure avec elle. Tu sais bien ce qu’elle a enduré…
Oana : - Comme nous. Sa souffrance n’est pas exclusive. Nous avons toutes eu notre lot de douleurs.
Luminita : - Peut être. Mais les traces que nous ont laissé ses douleurs ne sont pas les mêmes chez chacune d’entre nous. Tu devrais te faire une raison, Oana.
Oana : - Qui devrait se faire une raison, ici ? (A la cantonade.) Miruna, pour la dernière fois, sort de ta cachette.
Stella : - Laisse-nous faire. L’ombre qui la voile ne résistera pas longtemps à notre lumière.
Luminita : - (A Stella.) Evitez de lui faire peur tout de même.
Stella : - Ne t’inquiète pas. Une douce clarté suffira…
(Stella écarte en grand les bras et une vive lumière éclaire le coin sombre où se terrait Miruna.)
Oana : - Ha ! Te voilà enfin ! Donne-moi ce que tu as pris.
Miruna : - Je n’ai rien pris.
Oana : - Et que caches-tu dans ton dos ?
Miruna : - Mes mains.
Oana : - Menteuse. Ne m’oblige pas à…
Miruna : - Je n’ai rien pris. Je n’ai rien pris. C’est toi, la menteuse…
Oana : - Bon, tu l’auras voulu.
Oana lève les mains au ciel et une pluie soudaine asperge Miruna qui dévoile ses mains pour se protéger.
Oana : - (Retirant l’objet des mains de Miruna.)Et ça ? Qu’est-ce que c’est ?
Miruna : - C’est à moi… C’est à moi… Je l’ai trouvé…
Oana : - C’est à toi ? Cette pierre d’eau était posée sur mon étagère. Et tu sais que je te défends de toucher à mes affaires. Ce sont des objets rares et qu’ont ne trouve pas si facilement…
Miruna : - Méchante. Oana est méchante.
Luminita : - Non, Miruna. Oana essaie comme elle peut de te protéger et tu devrais l’écouter plus souvent.
Oana : - Je ne sais plus quoi faire avec elle… J’étais en train de préparer notre prochain numéro et il a fallu qu’elle…
Stella : - Laisse. Nous allons nous en occuper. Retourne à ton travail. (A Miruna.)Tu viens Miruna ? Nous allons nous promener. Je vais t’apprendre à reconnaître les étoiles. La nuit est claire. Profitons-en…
Miruna : - Oh, oui. Compter les étoiles… Apprends-moi…
Stella : - Allez ! Viens ! Suis-moi !
Stella et Miruna sortent.
Luminita : - (A Oana.) Je sais ce que tu penses… Je sais que c’est décourageant parfois… Mais tu es sa seule famille… Sans toi, elle est perdue…
Oana : - Je me demande si ce n’est pas moi qui suis perdue… Je n’aurais jamais du accepter… Je n’aurais jamais du la prendre avec moi…
Luminita : - Mais tu l’as fait… Et tu sais pourquoi tu l’as fait… Tu ne pouvais laisser une de tes semblables à la merci de ces sauvages…
Oana : - Quand ? Quand l’horizon s’éclairera un peu plus devant nous ? Quand verrons-nous la lumière au bout du tunnel, Luminita ?
Luminita : - Moi qui suis celle qui joue avec la lumière, je suis bien incapable de te répondre… Allez, viens, montre-moi ce que tu préparais…
Luminita enlace Oana par les épaules. Elles sortent.
Cosmina et Crina apparaissent. Cosmina tient une tablette de Oui jà.
Crina : - Tu es vraiment certaine que ça va fonctionner, Cosmina ?
Cosmina : - Je te l’ai dit. Le son se déplace plus vite que les songes. A présent, tu devrais pouvoir faire bouger ce oui-jà rien qu’avec le timbre de ta voix.
Crina : - J’en doute. Ca fait des semaines qu’on essaye ce tour. Et rien ne se passe.
Cosmina : - C’est parce que tu ne le nourris pas assez de tes rêves. Je te l’ai déjà expliqué. Si tu fais comme je dis, tu cesseras de pousser des cris et tu contrôleras mieux.
Crina : - Bon. D’accord, mais c’est la dernière fois.
Cosmina : - Si tu te décourages déjà, tu n’arriveras à rien. Allez, mets-toi en place.
Crina s’assoit en tailleur devant la tablette posée au sol puis ferme les yeux pour se concentrer. Cosmina place ses mains sur la tête de Crina.
Cosmina : - Nous y sommes. Laisse-toi envahir par tes rêves.
Crina : - Comme ça ?
Cosmina : - Silence. Concentre-toi. Voilà, nous y sommes… Joli rêve, vraiment joli… A présent, laisse sortir ta voix…
Crina entrouvre les lèvres et laisse sortir un son. Le Oui jà commence à se déplacer sur la tablette.
Crina : - Cosmina ! Il bouge, il bouge, enfin !
Cosmina : - Reste concentrée, bon sang ! Je ne vois plus tes rêves…
Crina : - Mais je me concentre…
Cosmina : - Crina, mais qu’est-ce que tu fais ? Non, pas ça. Pas ces visions, là. Tes rêves, tes rêves,…
Le Oui jà s’est affolé sur la tablette.
Crina : - Je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas…
Cosmina : - Arrête ça ! Crina, arrête ça !
Le Oui-jà est projeté violemment hors de la tablette. Cosmina s’effondre au sol en se tenant la tête.
Crina : - (En tentant de redresser Cosmina.) Cosmina ! Cosmina ! Excuse-moi, je ne voulais pas…
Cosmina : - Quand cesseras-tu de penser à tout ça ? Ne peux-tu laisser plus de place à tes rêves ?
Crina : - J’ai du mal… Ca revient tout le temps… Désolé…
Cosmina : - C’est pas grave…
Crina : - C’est encore trop tôt… Trop présent en moi… (Elle pleure.)
Cosmina : - Ça va, je te dis. C’est pas grave. Ça viendra. Ça viendra. Il faut du temps. Tu oublieras…
Crina : - Tu crois ? Tu crois vraiment qu’on oubliera un jour ?
Cosmina : - Je crois… Enfin, j’espère…(Son regard est attiré au loin.)
Crina : - Qu’est-ce qu’il y a ?
Cosmina : - Je ne sais pas. C’est Narcisa qui approche. Elle a l’air furieuse.
Crina : - C’est pas une nouvelle. Narcisa est toujours de méchante humeur.
Cosmina : - Viens. Ne restons pas là.
Le temps pour Crina et Cosmina de s’écarter à l’abri des regards, Narcisa entre soudain, suivie d’Andreea, Sorina et Sanda.
Andreea : - Narcisa, je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans des états pareils.
Narcisa : - Tu ne comprends pas ? Vous êtes aveugles ou naïves, ma parole…
Sorina : - Et quoi ? Qu’est-ce qui te fait penser que c’est elle ?
Sanda : - Nous avons essayé tant de fois déjà. Tu vois bien que c’est peine perdue en général…
Narcisa : - Pas cette fois-ci… Cette impotente à son idée en tête, j’en suis certaine…
Sorina : - Tu te fais des idées. Lucida n’en sait pas plus que nous…
Andreea : - Sorina a raison. Elle fait comme d’habitude, comme toujours.
Sanda : - Nous verrons bien. Nous ne savons rien d’elle encore.
Narcisa : - Je ne la sens pas. Elle est trop enthousiaste… Ca cache quelque chose…
Andreea : - Narcisa, s’il te plaît. C’est une jeune fille tout ce qu’il y a de plus normal. Elle rêve d’être une artiste, c’est tout…
Sanda : - Quel mal y a-t-il à cela ? Quelle jeune fille ne rêverait pas d’une vie de bohème ?
Narcisa : - Parce que tu trouves que nous vivons la vie de bohème ? Tais-toi, tu dis n’importe quoi.
Sorina : - Sanda a raison. C’est humain…
Narcisa : - C’est humain… Vous allez aussi me dire que c’est humain de fuir toujours plus en avant… De nous échapper comme des voleuses dès le rideau tiré…
Andreea : - Tu sais que nous n’avons pas le choix, Narcisa. Lucida sait ce qu’elle fait. C’est pour nous protéger qu’elle…
Narcisa : - Taisez-vous. Je ne veux plus rien entendre. Vous êtes idiotes. Ne voyez-vous pas que cette Louisa ne changera rien. Elle n’est pas celle que nous attendons. Elle ne le sera jamais…
Sanda : - Nous n’en sommes pas encore là.
Narcisa : - Et nous ne le serons jamais. Croyez-moi. Fiez-vous à moi. Les tours de passe-passe de Lucida ne sont là que pour gagner du temps. Elle ne cèdera jamais sa place. Mais je ne la laisserai pas faire et cette Louisa… Faut s’en débarrasser…
Sorina : - Je trouve que tu vas vite en besogne…
Narcisa : - Vous êtes avec moi ou pas ?(Plus durement.) Répondez. Vous êtes avec moi, oui ou non ?
Andreea : - Inutile de le prendre comme ça. Tu sais que nous avons toujours été avec toi.
Narcisa : - Alors, fin de la discussion. Nous verrons demain…
Narcisa sort toujours suivie de sa sœur et ses complices. Au loin, une chouette hulule.
Tableau 4
Le lendemain, Louisa est au rendez-vous. Devant le chapiteau, la troupe s’affaire déjà.
Lucida : - Bravo, Louisa ! Nous apprécions ta ponctualité.
Louisa : - Bonjour à toutes. Je suis prête. Que faut-il faire ?
Lleana - Et impatiente avec ça. Je crois, Lucida, que Louisa ne manque pas de volonté.
Lucida : - C’est déjà beaucoup. Approche. N’aie pas peur. Voici Lumina et sa sœur Stella. Elles ont préparé un petit tour pour te souhaiter la bienvenue.
Luminita : - Tu vas voir, c’est très simple. Il te suffit de tendre les mains. Tiens-les en forme de réservoir comme ceci.
Stella : - Puis, Luminita et moi, allons poser nos mains sur les tiennes comme ça.
Luminita : - Il faut te concentrer comme nous. Ferme les yeux.
Stella : - Et lorsqu’une lumière apparaîtra au creux de tes mains, tu pourras ouvrir tes yeux mais tu devras rester très concentrée pour la garder le plus longtemps possible.
Luminita : - La lumière est une énergie qui peut se consumer aussi vite qu’elle est apparue. Tiens-toi prête…
Les trois filles se concentrent et une lumière commence à apparaître entre les mains fermées. Luminita et Stella retirent les leurs.
Luminita : - A présent, ouvre doucement tes paupières et contemple tes mains.
Louisa : - C’est magique… C’est beau…
Stella : - Ne perds pas ton attention. Il faut garder encore la lumière présente.
Louisa : - C’est chaud au creux de mes mains.
Luminita : - Maintenant, pour la faire disparaître, referme lentement tes mains l’une sur l’autre.
Stella passe un foulard sur les mains fermées de Louisa. La lumière a disparu.
Lucida : - Bon début. Tu as passé cette épreuve avec succès.
Louisa : - Comment avez-vous fait ?
Lucida- Des magiciennes ne révèlent jamais le secret de leurs tours. Même leurs assistantes ne connaissent leurs trucs que bien plus tard.
Louisa : - Et que faut-il faire pour savoir ?
Lucida : - Il faut apprendre.
Louisa : - Oui, je suis bête. J’aurais dû me douter.
Lucida: - C’est tout naturel. Tu n’es encore qu’une débutante. A présent, Miruna et Oana ont aussi préparé un tour à ton intention.
Oana : - Voici un tube de carton que tu dois tenir fermement entre tes mains.
Miruna : - Moi, j’y verse un peu d’eau.
Louisa : - Hé ! Attention de ne pas me mouiller.
Oana : - Ne t’inquiète pas. Regarde ce qu’il se passe.
Miruna : - L’eau reste dans le tube de carton. Magique !
Louisa : - Mais c’est impossible…
Oana : - Prends ce verre et verse-y l’eau qui se trouve dans le tube.
Louisa : - Mais il n’y a plus d’eau. Elle a disparu…
Miruna : - Fais ce qu’on te dit et tu verras…
Louisa penche le tube au dessus du verre qui se remplit d’eau rapidement.
Louisa : - Bah ! C’est moi qui ais fait ça ?
Lucida : - Il faut croire. Une fois de plus tu t’en tires à merveille.
Dans leur coin, Narcisa et les autres filles murmurent entre elles.
Narcisa : - Sa naïveté m’exaspère. Je ne supporte plus ces tours pour enfant.
Andreea : - Elle débute. Il faut bien commencer par quelque chose.
Narcisa : - Puéril. Il faut l’éprouver un peu plus.
Andreea : - Qu’est-ce que tu as mijoté encore ? Narcisa, réponds…
Narcisa : - Ne t’inquiète pas, petite sœur, j’ai tout prévu. Nous verrons bien de quoi elle est capable.
Pendant ce temps, Crina s’était avancée près de Louisa. Un autre tour se déroulait.
Louisa : - C’est incroyable. Comment fais-tu ça ? Tu es capable de reproduire comme ça tous les sons que tu entends ?
Crina : - Tu n’as pas l’air d’y croire. Bon, choisis un bruit de la nature que tu entends maintenant autour de toi.
Louisa : - (En cherchant autour d’elle.) Attends… Je vais trouver… (Les yeux au ciel.) Là, tu vois cet épervier qui plane au dessus de nos têtes ?
Crina : - Bel oiseau. Que veux-tu que je fasse ?
Louisa : - Je veux que tu reproduise son cri comme s’il était à côté de nous.
Crina : - D’accord…
Crina se concentre, les yeux fixés au ciel, elle suit le vol de l’épervier. Puis soudain, elle ouvre les lèvres et le cri de l’oiseau en sort.
Louisa : - Incroyable ! Tu as du don, ce n’est pas possible…
Lucida : - Crina a surtout une excellente oreille.
Crina : - Pour jouer la musique du monde, il faut que tu ais d’abord et surtout une très bonne écoute.
Louisa : - (A Cosmina)Et toi, comment t’appelles-tu ? Qu’est-ce que tu sais faire ?
Cosmina : - Je me nomme Cosmina. Hélas, mes tours sont encore un peu trop compliqués pour toi.
Louisa : - Oh, allez, montre-moi quelque chose…
Lucida : - Les numéros de Cosmina ne sont pas sans risques. Elle maîtrise l’hypnose.
Cosmina : - C’est un entraînement un peu spécial.
Louisa : - Quoi ? Je suis curieuse de savoir si tu es capable de m’hypnotiser. J’en doute…
Narcisa : - Tu as tort. Le talent de Cosmina est redoutable. A ta place, je me méfierai.
Louisa : - Non, j’ai confiance. Je ne demande qu’à voir.
Andrea : - Sérieusement, Louisa, il ne vaut mieux pas. Ce n’est pas prudent. Les tours de Cosmina demandent beaucoup de préparation…
Narcisa : - Puisqu’elle le demande, ne la décevons pas. Elle verra bien par elle-même.
Andreea : - (Prenant à part Narcisa.) Qu’est-ce que tu fais ? Tu sais que c’est dangereux.
Narcisa : - (Même jeu.) T’occupes, toi. Nous verrons bien ce que cette pimbêche a dans le ventre… (A Cosmina.) Allez, Cosmina, quoi ! Une petite léthargie, ce n’est pas si terrible.
Louisa : - Oui. Voilà, un tout petit peu, pour voir…
Cosmina : - Bien, puisque tu insistes. Mais si quelque chose ne va pas, dis-le moi.
Louisa : - Comme quoi ?
Cosmina : - Des maux de têtes ou des nausées…
Louisa : - D’accord. Je suis prête…
Lucida : - Cosmina, fais attention je te prie…
Cosmina : - Je vais rester prudente. Ne vous inquiétez pas. (A Louisa.) Ferme les yeux et concentre-toi sur ma voix…
Narcisa : - (A part.) Sorina, Sanda, placez-vous. C’est le moment.
Andreea : - (Même jeu.) Qu’est-ce que vous allez faire ?
Sorina : - Un petit test, un vrai pour éprouver cette fille…
Sanda : - Pas de panique. Nous verrons bien si cette Louisa est bien ce que nous pensons ou pas ?
Andreea : - (A part à Narcisa.) Narcisa, ne faites rien, c’est trop risqué. Pense à nous, à ce que nous sommes…
Narcisa : - (A part à Andreea.) Ma petite sœur a oublié de quoi je suis capable ? Tu n’as plus confiance en moi ?
Andreea : - Ce n’est pas la question. Tu le sais…
Narcisa : - Alors, tiens-toi à l’écart et laisse-nous faire…
Pendant que Cosmina parle doucement à l’oreille de Louisa, Narcisa, Sorina et Sanda se placent tout autour à l’écart et ferment les yeux.
Cosmina : - Louisa ? Entends-tu ma voix ?
Louisa : - J’entends.
Cosmina : - Est-ce que tout va bien ?
Louisa : - Oui,… Je… Je ne sais pas…
Cosmina : - Louisa ? Quelque chose ne va pas ?
Louisa : - Il y a… Je sens des…
Cosmina : - Louisa ? Réveille-toi. Il vaut mieux s’arrêter là…
Louisa : - Je ne peux pas… Je ne peux pas… Oh, je vois…
Cosmina : - Qu’est-ce que tu vois ?
Louisa : - C’est horrible. Des enfants,… Des enfants qui… Arrêtez-ça… Ne les touchez pas…
Lucida : - (A Cosmina.) Cosmina, qu’est-ce qu’il se passe ?
Cosmina : - Je ne sais pas. Je l’ai perdu… Je ne la contrôle plus…
Louisa : - (En catatonie, hurlant presque.) Laissez-les, vous êtes des monstres… Elles n’ont rien fait… Laissez-les…
Lucida : - Fais quelque chose Cosmina ! Elle ne peut pas continuer ainsi !
Cosmina : - Je ne peux rien faire, je te dis. Elle a coupé le lien…
Lucida : - C’est impossible…
Pendant que Louisa poursuit son délire, Andreea se place à part.
Andreea : - Faut arrêter ça de suite… (Elle lève les mains au ciel.)
Un grand coup de tonnerre résonne au dessus du chapiteau. Louisa s’éveille en sursaut. Narcisa, Sorina et Sanda sont projetées au sol. Lucida, Lleana et Cosmina relèvent Louisa qui s’était aussi effondrée à terre.
Lucida : - Louisa ! Louisa ! Ca va ?
Louisa : - Ca va, ça va, c’est passé…
La silhouette d’un homme apparaît non loin du chapiteau.
Tableau 5
L’homme s’avance. Les filles tentent d’afficher une certaine contenance.
L’homme : - (Aimable et souriant.) Bonjour… Désolé, je vous dérange ?… Vous étiez en train de travailler peut être… Enfin, de répéter… C’est comme ça qu’on dit, non ? Répéter…
Lucida : - Oui, répéter… Bonjour, qui êtes vous ?
L’homme : - J’ai assisté à la parade tout à l’heure. Vraiment spectaculaire…
Lucida : - Merci…
L’homme : - Tout votre spectacle est ainsi ?... Autour de la magie ?
Lucida : - Oui… C’est notre style…
L’homme : - Et vous venez d’où comme ça ?
Bref regard inquiet échangé entre Lleana et Lucida.
Andrea: - Nous venons d’un peu partout… Nous nous déplaçons beaucoup…
L’homme : - Et oui… Un cirque, par définition… Et vos familles ?
Andrea : - Nos familles…
L’homme : - Oui,… Vos parents, vos cousins,… Il n’y a pas d’adultes, ici ?
Andrea: - Nous sommes une très jeune troupe. Mes sœurs et moi sommes les plus âgées…
L’homme : - Ah ! Bon,… Je ne vais pas abuser de votre temps…La répétition… Bonne journée… (Il s’éloigne.)
Lucida : - Au revoir…
Une fois l’homme disparu, après un long silence, Lucida se retourne vers les autres filles.
Lucida : - C’est terminé pour ce matin. Si vous avez des tâches à accomplir vous pouvez y aller.
Narcisa sort l’air rageur, suivie de Sorina et Sanda qui lui emboîtent le pas.
Andreea fait une courte pause en adressant un regard désolé à Lucida.
Andrea : - (A Lucida.) Elle a vu. Elle sait…
Lucida : - J’ai compris…
Louisa ne bouge pas.
Louisa : - Que s’est-il passé ? J’ai vu…
Lucida : - Oui, qu’est-ce que tu as vu ?
Louisa : - J’ai vu des enfants courir sous la tourmente, poursuivis par des gens effrayants. J’ai vu la guerre et le malheur. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’était comme un rêve et pourtant ça paraissait si réel…
Lucida : - Ce n’était pas un rêve…
Louisa : - Qu’est-ce que tu dis ?
Lucida : - Ce que tu as vu est la vérité… Ces enfants que tu as aperçu comme en rêve, c’était nous, notre histoire, notre passé…
Louisa : - Mais ce n’est pas possible…
Andrea : - Si. C’est possible. Et maintenant, toi aussi, tu partages ce secret avec nous.
Louisa : - D’où venez-vous ? Qui êtes vous ?
Oana : - Nous sommes roumaines. Tu connais ce pays, la Roumanie ?
Louisa : - J’en ai entendu parler…
Oana : - Nous avons vécu tant de choses avant de créer ce cirque. La guerre, la famine et puis l’exode, la survie…
Louisa : - Cet homme qui était là… Il a demandé où étaient vos familles… Où sont vos parents ?…
Luminita : - Nous n’avons plus de parents, plus de familles, plus de terre où nous installer…
Louisa : - Mais pourquoi, la guerre est finie et…
Luminita : - La guerre ? Tu es drôle et naïve à la fois… Nous avons été chassé par nos propres familles, par nos villages,…
Louisa : - Mais pourquoi ?
Lucida : - Parce que nous sommes différentes… (Lucida claque des mains. On entend le vent se lever, le ciel se couvre, l’orage tonne, la lumière change.)
Louisa : - Ca recommence comme tout à l’heure… C’est toi qui fait tout ça, mais comment ?
Lucida : - Dans votre langage, vous nous appelez des sorcières avec tout le lot de malédictions, de superstitions et de mauvais présages que les personnes nous prêtent.
Cosmina : - Chez nous, c’est mal vu, c’est le diable. Voilà pourquoi, on nous a chassé.
Stella : - Les hommes ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas. C’est une fantaisie de la nature qui nous a doté de dons avec lesquels chacune d’entre nous apprend à vivre.
Crina : - Le hasard a fait que nous nous sommes retrouvées et avons décidé de rester ensemble. Nous avons eu l’idée de créer ce cirque. Nos spectacles nous permettent de camoufler plus facilement nos différences.
Louisa : - Voilà pourquoi je trouvais vos tours si parfaits, si incroyables… Mais si on découvre votre secret que va-t-il se passer ?
Lucida : - Il ne le faut pas ou nous serions perdues. Tu peux comprendre ça ? Je suis l’aînée. Chez nous, c’est l’aînée qui est responsable des plus jeunes. Mais voilà, je ne vais pas rester longtemps…
Louisa : - Tu vas partir ?
Lucida : - On peut dire ça comme ça. Mes jours sont comptés. Un mal incurable ronge mes entrailles. Je n’en ai plus pour très longtemps. Toutes le savent et depuis nous cherchons de village en village, l’élue, celle qui pourra me remplacer à la tête du cirque, celle qui saura protéger mes petites sœurs…
Louisa : - C’est terrible ce que tu me racontes là… (Un silence pendant lequel Louisa réalise.)Mais alors, ces épreuves que vous me faites passer…
Lucida : - Nous voulons savoir…
Louisa : - Mais je ne suis pas celle que vous attendez. C’est certain. Je suis incapable de faire ce que vous faites et je n’ai pas vos dons…
Lucida : - Ce n’est pas comme ça que ça marche. L’élue, l’aînée, ne le sait pas encore qu’elle est celle qui devra me remplacer comme elle ne sait pas qu’elle a le don… A présent tu connais notre histoire, tu dois réfléchir. Pour aujourd’hui ce sera tout. Rentre chez toi…
Un silence où Louisa dévisage les filles sans un mot puis sort.
Dans un coin, Miruna scrute au loin. Oana qui l’observait depuis un moment s’approche d’elle.
Oana : - Miruna que fais-tu là ? Que regardes-tu comme ça ?
Miruna : - Je ne l’aime pas, lui…
Oana : - Qui ? Le type qui est passé tout à l’heure ?
Miruna : - Oui. Il est étrange. Il ne dit pas tout. Il cache quelque chose.
Oana : - C’est un curieux, Miruna, c’est tout. Tu n’as pas de raison de t’inquiéter. Et puis s’il a de mauvaises intentions, nous sommes plus nombreuses et plus fortes que lui.
Miruna : - Oui.. (Un silence.) Louisa est partie pour toujours ?
Oana : - Non, Miruna. Elle est rentrée chez elle. Elle a besoin de réfléchir.
Miruna : - Pourquoi c’est toujours compliqué…
Oana : - Compliqué ?
Miruna : - Oui. Ce qu’il se passe, nous, tout ça…
Oana : - La vie n’est pas toujours simple, Miruna. C’est comme ça… Allez viens, nous allons nous occuper de notre numéro. Tu veux bien ?
Miruna : - Oui…
Oana : - (En plaisantant.) Et tu arrêtes de chaparder mes affaires, d’accord ?
Miruna : - Moi ? J’ai rien pris…
Oana : - Je préfère anticiper avec toi. On ne sait jamais, maline va…
Miruna : - Ça veut dire quoi « antichiper » ?
Oana : - An-ti-ci-per, pas « chiper ». Tu vois, tu penses déjà à me piquer quelque chose… (Elle rit.)
Miruna : - C’est pas vrai.
Elles sortent.
Tableau 6
Plus tard, dans la nuit, Sorina, Sanda et Narcisa sont encore éveillées. Narcisa fait les cents pas d’un air toujours aussi rageur et préoccupé.
Sorina : - C’est elle… C’est certain… Elle est l’élue…
Narcisa : - Ça reste à prouver…
Sorina : - Qu’est-ce qu’il te faut de plus ? Tu as bien vu comme nous ce qu’elle a été capable de faire…
Sanda : - Elle a comme aspiré nos pensées, elle a tout vu, tout senti…
Narcisa : - Taisez-vous toutes les deux. Vous me faites pitié. Vous gémissez au lieu de chercher une solution…
Sanda : - Une solution à quoi ? Un jour ou l’autre, ça devait arriver…
Narcisa : - Ca suffit. J’en ai assez entendu. Nous sommes peut être cousines mais nous n’avons aucun point commun. Voilà ce que je sais. Comment pouvez-vous accepter qu’une inconnue, étrangère à nos coutumes, notre culture, jusqu’à même notre race, nous dirige un jour ?
Sorina : - Notre culture ? Notre race ? As-tu déjà oublié que nos propres familles nous ont chassé ?
Sanda : - Apatrides, exilées, sans terre et sans peuple, voilà ce que nous sommes…
Narcisa : - Je n’ai pas oublié que nous n’avons pas eu le choix. Mais aujourd’hui, c’est différent. Nous pouvons décidé de notre sort, notre destin est entre nos mains et je refuse de le placer entre celles d’une inconnue. Je sais ce qu’il nous reste à faire…
Andreea apparaît.
Andreea : - Et que feras-tu ? L’incident de tout à l’heure ne t’a pas suffit ?
Narcisa : - Je n’ai pas demandé ton avis. Je peux décider toute seule…
Andreea : - Tu as toujours décidé tout toute seule. Quand il a fallu nous enfuir du pays, tu voulais déjà partir de ton côté, contre l’avis de toutes…
Narcisa : - Et j’aurai du le faire.
Andreea : - Ne dis pas n’importe quoi. Tu vois bien que notre union nous rend plus forte. Sans les autres, nous n’aurions peut être jamais survécu…
Narcisa : - Comment peux-tu en être si sûre. Nous ne l’avons jamais fait.
Andreea : - Et grand bien nous a pris de rester ensemble… (Un silence où le ton se radoucit.) Narcisa… Narcisa la noire, Narcisa la dure, la revêche, la méchante… Ce n’est pas toi.
Narcisa : - Si c’est moi. C’est moi… C’est comme ça. On ne choisit pas.
Andreea : - Nous avons toujours le choix. C’est la bonne décision qu’il nous faut prendre. C’est tout.
Narcisa : - Assez. Va-t-en. Laisse-nous. Va donc retrouver les autres.
Andreea : - Je souhaite tant que tu changes, je veux tant que…
Narcisa : - Quoi…
Andreea affligée et découragée se retire.
Sorina : - Que veux-tu faire à présent ?
Narcisa : - Nous allons invoqué les ombres. Elles nous seront d’une grande utilité.
Sanda : - Tu n’y pense pas. Souviens-toi la dernière fois que nous avons utilisé ce sort…
Narcisa : - Nous n’étions pas prêtes mais aujourd’hui c’est différent. Aujourd’hui, il nous faut prendre notre destin en main…
Elles sortent toutes les trois.
Tableau 7
Nouvelle journée qui commence. Les filles sont réunies devant l’entrée du chapiteau et répètent leurs numéros. Louisa fait son apparition.
Miruna : - (En accourant vers Louisa et lui prenant la main.) C’est elle. C’est Louisa ! Elle est revenue…
Lucida : - Te voilà… As-tu réfléchi ?
Louisa : - Oui,… Poursuivons… Si vous êtes toujours d’accord…
Lucida : - Cosmina va reprendre le rituel qu’elle a tenté de réaliser avec toi l’autre fois.
Louisa : - C’est risqué.
Cosmina : - Je peux comprendre ta peur. Mais cette fois-ci, je ne me ferai pas surprendre.
Louisa : - Alors, je suis prête…
Miruna : - Elle est prête à quoi ?
Oana : - Ne t’inquiète pas Miruna. Laisse Louisa, elle a besoin de se concentrer.
Louisa se place devant Cosmina qui impose ses mains sur sa tête. Une énergie sombre couvre la présence de Louisa.
Cosmina : - Je n’arrive pas à franchir les barrières de son esprit. Quelque chose a changé…
Lucida : - Lleana peux-tu aider Cosmina ?
Andrea : - Je vais sonder ses pensées.
Lleana impose à son tour ses mains sur la tête de Louisa.
Andrea : - Il y a quelque chose qui nous en empêche. Des ombres, ce sont des ombres…
Cosmina : - Elles nous entraînent avec elles… On ne peut plus se dégager…
Andrea : - A l’aide, faites quelque chose…
Lucida : - Faut arrêter ça…
Stella : - Laisse-nous faire, Lucida. Contre l’ombre, il n’y a que la lumière.
Lucida : - Faites vite ! Elle est en train de posséder Cosmina et Andrea.
Luminita : - Ecartez-vous, bon sang ! Laissez-nous faire ! Stella, on met la gomme sur Louisa. Il faut qu’elle lâche prise.
Stella : - Je suis prête. Allons-y !
Stella et Luminita se concentrent avec force. Au bout d’un moment, le sortilège s’estompe, Andrea et Cosmina sont libérées de l’emprise de Louisa et tout redevient calme.
Louisa : - Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je n’ai rien senti comme l’autre fois. J’avais l’impression d’être sourde et aveugle.
Lucida : - Nous nous sommes peut être trompés sur toi…
Louisa : - (Déçue.)Je vous l’avais bien dit, je ne suis pas comme vous…
Andrea : - Non, il y autre chose. Ca ne venait pas de Louisa. Quelque chose d’étranger m’empêchait de sonder son esprit.
Cosmina : - Oui. Andrea a raison. C’était plus fort que nous.
Miruna : - C’est lui. Il revient.
Oana : - Qu’est-ce que tu racontes, Miruna, ce n’est pas le moment de…
Miruna : - L’homme… L’homme revient…
Lucida : - Encore lui. Qu’est-ce qu’il veut ?
L’inconnu apparaît.
L’homme : - Bonjour mesdemoiselles. Je vous dérange ?
Lucida : - Nous préparons le spectacle de ce soir. Nous avons beaucoup de travail.
L’homme : - Je n’en doute pas… J’ai quelques questions à vous poser. L’autre fois, je ne me suis pas présenté, je m’en excuse. Laissez-moi réparer cet oubli. (Il sort une carte de sa veste et la présente à Lucida.) Inspecteur Granger. Oui, je travaille pour le service de l’immigration.
Lucida : - Inspecteur ?
L’homme : - Une branche de la police. Mais rassurez-vous. Je ne viens arrêter personne. J’imagine que vos papiers sont en règle…
Lucida : - Nous avons eu l’autorisation de la mairie.
L’homme : - Je sais. Je me suis renseigné. Vous vous doutez bien… Je viens pour autre chose. Le voisinage est inquiet. Ils ont entendu cette nuit des plaintes et des cris provenant de votre campement.
Lucida : - Il n’y a rien eu de particulier cette nuit. Nous avons toutes rejoint nos roulottes assez tôt dans la soirée…
L’homme : - Bien. Dans ce cas, j’en ai fini. Je ne vous dérange pas plus longtemps. (Il s’arrête sur Louisa.) Vous ne faites pas partie de la troupe, vous.
Louisa : - Non. Je me suis portée volontaire pour participer au prochain spectacle. Une assistante, quoi…
Andrea : - Oui, c’est une tradition dans notre cirque. Nous proposons à une personne de la commune où nous nous produisons de nous rejoindre le temps d’une représentation.
L’homme : - Oui, je vois. Sympathique comme initiative. Je vous souhaite bonne journée mesdemoiselles.
L’homme disparaît. Un silence règne un instant sur la troupe.
Luminita : - Lui, je sens qu’il va falloir surveiller ses allers et venues.
Stella : - M’inspire pas du tout confiance…
Lucida : - Vous avez raison. Méfions-nous. De plus, il est de l’immigration. Il pourrait bien nous causer des ennuis.
Louisa : - C’est parce qu’il y a des enfants mineurs parmi vous. Chez nous, ça passe mal…
Oana : - Nous ne sommes pas françaises de toute façon. Je ne vois pas vraiment ce qu’il pourrait bien faire…
Louisa : - On ne sait jamais. Avec ces types, il faut s’attendre à tout…
Lucida : - Nous remballerons tout ce soir et nous partirons avant le lever du soleil…
Soudain Lucida vacille et s’effondre au sol. Les filles se précipitent sur Lucida étendue inerte au sol.
Andrea : - C’est sa maladie. Elle est brûlante de fièvre.
Andreea : - Transportons-là dans sa roulotte.
La troupe accompagne Lucida et disparaît.
Tableau 8
A l’entrée du chapiteau, c’est le calme. Oana tient Miruna dans ses bras. Luminita et Stella patientent assises sur un banc. Crina fredonne un air comme pour rassurer les esprits inquiets. Louisa fait tranquillement les cents pas.
Miruna : - J’ai peur… Lucida va guérir ?
Oana : - Je t’ai déjà expliqué, Miruna… Elle est très souffrante… On ne peut pas savoir…
Miruna : - C’est ce qu’il va nous arriver aussi ?
Oana : - Non. Ce n’est pas obligé. Chacune est différente… Pour Lucida, c’est comme ça que ça se passe…
Louisa : - Mais vous l’avez faite ausculter par un médecin, fait faire des analyses ?…
Stella : - Qu’est-ce que tu crois ? Nous sommes peut être artistes mais nous savons ce qu’il faut faire…
Luminita : - Avant de quitter notre pays, Lucida est allée chercher des réponses à l’hôpital. Dans son cas, il n’y a rien à faire. Sa maladie est incurable. Alors elle a décidé de nous suivre jusqu’à la fin.
Miruna : - (Criant désespérée.) Non. Elle ne va pas mourir. Vous voulez tous qu’elle meure. Voilà la vérité…
Stella : - Ne dis pas n’importe quoi, Miruna…
Miruna : - Je ne dis pas n’importe quoi. C’est vous qui parlez tout le temps pour rien. Vous êtes méchantes !(Elle sort.)
Oana : - (En la suivant.) Miruna, revient ! (Elle sort derrière Miruna.)
Luminita : - Miruna est la plus jeune d’entre nous. C’est difficile pour elle de comprendre. Faut l’excuser…
Louisa : - Il n’y a pas de mal.
Crina : - Voilà Andrea et Cosmina qui reviennent.
Andrea et Cosmina apparaissent.
Louisa : - Alors ?
Andrea : - Il n’y a plus grand espoir.
Cosmina : - Sa respiration est de plus en plus difficile et la fièvre s’est installée dans son corps.
Louisa : - (Prenant la main d’Andrea.) Je suis désolée…
Andrea : - (S’asseyant fatiguée.) Il n’y a pas de quoi, Louisa. Nous le savions. Nous étions prêtes. C’est étrange. Nous avons passé tant d’épreuves ensemble mais c’est la maladie qui est la plus forte. La mort sera pour elle une délivrance plus qu’une fatalité.
Louisa : - Vous devriez rester à ses côtés. Ça la rassurerait de savoir que vous êtes avec elle.
Les filles sortent une à une dans un silence total. Andrea s’arrête un instant et se tourne vers Louisa.
Andrea : - Que feras-tu à présent ?
Louisa : - Je ne sais pas encore. Nous verrons après la représentation. Lucida veut que nous poursuivions, c’est bien cela ?
Andrea : - Oui.
Louisa : - Alors, le spectacle doit continuer, quoiqu’il arrive.
Andrea : - D’accord. (Elle sort.)
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