LES ENFANTS SANS NOM 20 Mai 2018
LES ENFANTS SANS NOM
Pièce de théâtre inspirée d’une légende Sioux Lakota
De Gianmarco Toto
Personnages
Les filles sioux
Asha = espoir
Migina= lune descendante
Ehawee = elle rit
Halona= chanceuse
Les garçons sioux
Jolan = la vallée des chênes morts
Lenno = homme
Yuma = fils du chef
Sahale = au-dessus
Wapi = heureux
Waban = vent d’Est
Les enfants de pionniers
Mary (Soeur d’Alan)
Alan (Frère de Mary)
Le décor
L’intérieur d’un immense ttipi qu’on nommait ttipi à suer et où les enfants étaient gardés pendant la saison froide en attendant de recevoir un nom.
Scène 1
Sous la protection du ttipi à suer , des enfants sioux pratiquent leurs activités quotidiennes. Les filles confectionnent des bijoux répandus sur le sol. Les garçons aiguisent des pointes de flèches et de lances.
Migina
Comment varier ses couleurs fanées. Je ne me souviens plus.
Asha
Petite mère nous avait expliqué. Rappelle-toi, une couleur dessus, un couleur dessous.
Migina
Ça fait si longtemps que nous sommes ici que j’ai l’impression de perdre la mémoire.
Ehawee
Tu exagères. Ça ne fait pas si longtemps et puis c’est un passage obligé. Dehors « Ours blanc » souffle le froid sur les arbres et « Loup hurleur » les dépouille de toutes leurs feuilles.
Halona
Moi, je prends mon mal en patience car je sais que le premier animal que je croiserai en sortant du ttipi sera un bel animal…
Wapi
Quoi comme animal ? Une marmotte ?
Les garçons rient de bon coeur.
Halona
(A Wapi.)
Tu as l’esprit insolent, toi. J’espère que le premier animal que tu croiseras en sortant d’ici sera une poule. Tu feras moins le malin.
Waban
(A Wapi avec un sourire moqueur.)
« Poule qui caquète » serait un joli nom pour toi.
C’est au tour des filles de rire de bon coeur pendant que Wapi et Waban luttent gentiment sous les encouragements des autres garçons.
Soudain des bruits de galops se font entendre à l’extérieur du ttipi. Les enfants se précipitent à l’entrée de la tente pour passer la tête au dehors sauf Yuma qui est resté calmement assis.
Jolan
Ce sont les hommes de la tribu. Où vont-ils ainsi ?
Lennon
Ils ont pris leurs armes. Ils vont à la chasse ?
Sahale
Et que veux-tu qu’ils fassent d’autre. Faut bien nourrir tout le monde…
Ehawee
Apprenez à ouvrir les yeux, les garçons. Ne voyez-vous pas les peintures qui couvrent leurs visages et les plumes qui ornent leurs têtes ?
Lennon
Ils ont mis leurs peintures de guerriers ?
Sahale
Qu’est-ce que ça signifie ? Ils vont à la guerre ?
Jolan
Grandpas m’avait dit que nous étions en paix avec les tribus voisines à présent.
Yuma
(En se levant pour prendre ses armes et un manteau de loup.)
Grandpas ne t’a pas tout dit. Les grandes personnes cachent toujours des choses aux enfants.
Wapi
(Qui s’est retourné et qui surprend Yuma en train de se préparer.)
Que fais-tu ? Pourquoi t’habilles-tu ?
Waban
(Même jeu que Wapi.)
Tu ne comptes pas sortir, j’espère. Tu sais que nous n’en avons pas le droit. Les mauvais esprits pourraient s’abattre sur nous.
Yuma
Je suis l’aîné et je crois qu’il y pire que les mauvais esprits qui pourraient nous vouloir du mal.
Migina
Que dis-tu ? Tu me fais peur. Y aurait-il un autre danger plus grand que ceux dont nous parle le grand chaman ?
Yuma
(Il fait un pas vers la sortie.)
Je le crains mais ne peut rien vous dire. Il faut que j’en ai le coeur assuré. Un coeur assuré du danger est plus fort et courageux.
Lenno
Attend ! Je t’accompagne. Tu ne dois pas y aller seul. Deux coeurs assurés ont encore plus de courage quand ils marchent ensemble.
Sahale
Moi aussi, je viens. Nous sommes frères et c’est en frère que nous devons affronter le danger.
Jolan
Je suis des vôtres. Je connais bien les environs. Nous ne pourrons pas nous perdre.
Asha
Et que dirons-nous si les mères surprennent votre absence ?
Yuma
L’appel de la chasse, le besoin de grand air… Invente ce que tu veux. Vous ne risquez rien. Wapi et Waban resteront avec vous pour vous protéger. (En adressant un signe de tête aux autres qui se sont préparés entre temps.) Allez !
Les garçons sortent. Sous le grand Ttipi, le silence s’est installé. Les filles inquiètent se regardent . Wapi et Waban observent le départ des garçons par l’ouverture du ttipi.
Scène 2
Plus tard, dans le ttipi, tout est calme. Les enfants se sont endormis. Dehors, les bruits de la nuit se font entendre. Waban guette le retour des garçons à l’entrée de la tente.
Asha se réveille.
Asha
(En chuchotant en direction de Waban.)
Que vois-tu mon frère ? Sont-ils revenus ?
Waban
Il n’y a que les rumeurs sourdes des esprits de la nuit. Dors, je veille.
Asha
Je ne peux pas.
Migina
(S’éveille à son tour.)
Moi non plus. Je ne dormais pas. Pourquoi mettent-ils autant de temps à revenir ? Le jour va bientôt se lever et nos mères venir nous rendre visite. Que ferons-nous ?
Soudain une branche morte craque à l’extérieur du ttipi. Tous les autres enfants se réveillent, les sens en alerte. Wapi saisit une lance.
Wapi
Qu’est-ce que c’était ?
Waban
(Saisissant une lance à son tour.)
Je ne sais pas. Quelque chose approche.
Wapi
(Aux filles.)
Cachez-vous sous les peaux et restez ensemble.
Les filles s’exécutent immédiatement en laissant dépasser leurs visages inquiets des grandes peaux de bêtes. Les bruits de pas se rapprochent.
Halona
Croyez-vous que ce sont les mauvais esprits de la nuit ?
Ehawee
Je ne sais pas. Mais rassure-toi, les esprits ne peuvent nous atteindre sous le ttipi sacré.
Les bruits de pas se rapprochent encore. Wapi et Waban reculent pour se préparer à bondir sur l’intrus qui tenterait de s’introduire sous la tente. La toile de l’entrée s’écarte et laisse apparaître Lenno et Jolan qui font signe aux autres de garder le silence. Deux enfants aux visages pâles entrent à leur tour, poussés par Yuma. Ils sont terrifiés et frigorifiés. Yuma les installe dans un coin du ttipi.
Migina
(En s’approchant de Yuma.)
C’était donc ça, le danger dont tu parlais ? Des enfants de visages pâles ?
Yuma
C’est pour cela qu’hier, à la fin du jour, nous avons vu nos pères s'en aller. Ils ont repéré une caravane de visages pâles dans la vallée.
Lenno
Et nous, nous avons fait des prisonniers.
Jolan
Les visages pâles n’amènent que souffrance et mort avec eux. C’est Grandpas qui me l’a dit.
Sahale
Nous les livrerons à nos pères dès leur retour.
Yuma
Nous ne ferons rien du tout. Nous les garderons à l’abri, ici. Le temps pour « Ours blanc » de calmer son souffle glacial.
Sahale
Tu n’y songe pas ? Nous ne pouvons les garder ici. Ils sont comme les mauvais esprits.
Yuma
Ils sont des enfants comme nous.
Soudain le garçon au visage pâle se redresse s’avance vers les garçons sioux qui pointent leurs lances dans sa direction.
Mary
(Terrifiée.)
Alan ! Qu’est ce que tu fais ? Reste ici. Ce sont des sauvages. Ils vont nous tuer.
Alan
Laisse-moi faire Mary. J’ai déjà vu papa parlementer avec eux.
Mary
Tu n’es pas papa. Ne tente rien, je te dis…
Alan
(Tout en s’exprimant par gestes en direction des enfants sioux.)
Moi, pas ennemi. Pas dangereux, pas ennemi de vous. Moi, Alan et elle, Mary, ma soeur. Nous, perdus. Retrouver nos familles.
Les enfants sioux ne bougent pas et les dévisagent.
Mary
Ça ne sert à rien. Tu vois bien. Reviens Alan. (Elle pleure.) Je veux voir maman et papa.
Asha s’approche de Mary et lui prend la main pour la calmer.
Asha
Ne pleure pas, petit fille au visage pâle. Tu ne risque rien sous le ttipi sacré.
Mary
(Impressionnée et effrayée.)
Alan ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Je ne comprends rien à ce qu’elle dit ?
Alan
Laisse-toi faire. Elle ne te veut aucun mal, je crois. Elle essaie de te rassurer.
Migina
(A Yuma.)
Vous avez perdu la raison. Ils ne parlent pas notre langue et nous encore moins, la leur. Comment allons-nous faire ?
Yuma
Nous allons apprendre. Et eux aussi vont apprendre. Et pas un mot aux mères. Il faudra trouver un moyen de les cacher à chacune de leurs visites. La belle saison sera bientôt là. Bientôt ils pourront repartir.
Scène 3
Evocation du temps qui passe tout au long de tableaux qui se succèdent. On y voit les enfants faire plus ample connaissance, s’apprendre mutuellement leur langue, leurs coutumes, leurs cultures. On y voit aussi les stratagèmes utilisés par les enfants sioux pour cacher la présence de Mary et Alan aux femmes de la tribu.
Voix onirique du vieil amérindien
Lorsque que sept lunes seront passées, les larmes gelées qui font pleurer les branches d’arbre couleront sur la terre et l’abreuveront. Les prairies redeviendront vertes, le grand bison foulera de nouveau la terre des ancêtres, le ciel retrouvera le bleu et le soleil brillera au dessus des têtes du peuple Lakota. Mitakuye Oyasin, mitakuye Oyasin. Pour tous mes proches et les fils des fils de mes proches. Ours blanc ira dormir pour sept lunes et loup hurleur rejoindra sa horde pour accueillir la naissance heureuse de ses louveteaux. Il sera temps alors de donner un nom aux enfants du monde pour que les esprits de la nature les reconnaissent comme ses enfants uniques et irremplaçables. Esprit, mon grand-père, sur toute la terre, les visages des êtres vivants sont tous pareils. Regardez ces visages d’enfants sans nom et avec les enfants de leurs enfants dans leurs bras, qu’ils puissent faire face aux vents et marcher sur la bonne route le jour de la tranquillité.
Scène 4
Les filles confectionnent des bijoux. Plus loin, les garçons apprennent à Alan le maniement du tir à l’arc. Mary, qui s’appliquait à fabriquer un collier , a tout à coup le regard qui s’attriste.
Ehawee
(A Mary, avec douceur.)
Tu penses à ta tribu ? Je le vois bien. Tes yeux se sont voilés comme la pluie d’automne voile la plaine.
Mary
Mes parents me manquent. Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Vous croyez que vos père les ont…
Halona
Ne dis pas de sottises, petit Mary la blanche. Nos pères ne tuent pas sans raison.
Migina
Tu dois comprendre que les nôtres ne tuent que si l’ennemi veut du mal à la tribu. Nous n’avons pas attendu l’arrivée du visage pâle pour apprendre à nous défendre.
Asha
Seul la morsure glacée de l’esprit d’Ours blanc aura peut être eu raison de leur vie. Mais tu dois garder espoir, Mary la blanche, car Ours blanc n’enlève le souffle qu’à ceux qui ne respectent pas le cycle des saisons.
Ehawee
(En prenant doucement le bras de Mary.)
Ton coeur est-il plus rassuré à présent ?
Mary fait « oui » de la tête avant de reprendre le collier qu’elle confectionnait. Un silence.
Mary
Pourquoi, m’appelez-vous Mary la blanche ?
Halona
As-tu vu la pâleur de ton visage dans le reflet de l’eau ? Approche-le du mien au dessus de ce vase ? (Elle attire Mary à elle et colle son visage contre le sien.) Mary la blanche. Qui de nous deux est la plus pâle ?
Les filles rient ensemble tout en s’amusant de leurs reflets dans l’eau.
Alan
(Son regard se perd du côté des filles qui s’amusent. Il sourit.)
Elles s’entendent bien à présent. Regardez-les rire et jouer. De vraies amies…
Jolan
Des soeurs. Quand les filles vivent ainsi ensemble, elles ne sont pas de simples amies mais tout comme des soeurs de même sang.
Lenno
Et toi ? As-tu la même impression ? Sommes-nous devenus comme des frères pour toi ? Ou doit-on croire que les enfants de visages pâles sont tous aussi menteurs et faux que leurs pères ?
Sahale
(En se dressant face à Lenno.)
Qu’est-ce qu’il te prend de lui parler ainsi ? On ne l’a pas obligé de rester sous le ttipi avec nous. Crois-tu que de faux-frères vivraient sous la même tente ?
Lenno
Ils sont nos prisonniers depuis que nous les avons sauvés.
Yuma
(En posant sa main sur la poitrine de Lenno en signe d’avertissement.)
Ils ne sont plus prisonniers depuis longtemps. Tu n’as rien compris. Celui qui partage avec nous la langue que nous parlons et la même viande rôti sous le même ttipi est un frère des hommes de la vallée. (Il pousse un peu Lenno qui ne réagit pas puis se tourne vers Alan.) Toi et ta soeur pouvaient repartir quand vous le voulez. Vous êtes libres comme nous. La belle saison sera là bientôt et nous aussi nous sortirons pour que la nature nous donne enfin un nom. (Il s’éloigne et s’assoit à l’écart, le regard dans le vide de ses pensées.)
Jolan
(En se rapprochant d’Alan discrètement.)
Ne t’inquiète pas. Il n’est pas en colère mais notre frère ainé n’aime pas les personnes qui parlent sans réfléchir.
Wapi
Il n’était encore qu’un tout petit enfant qu’il montrait déjà un caractère très fort.
Waban
Tout jeune, il était tellement têtu qu’on le surnommait déjà « nata tunka », tête de pierre. Mais ce ne sera sûrement pas son vrai nom.
Alan
Et quel sera son vrai nom ? C’est vrai que vous tous n’avez pas encore de nom ? Nous, nous sommes baptisés dès la naissance.
Wapi
Vos pères sont des fous ou des mauvais esprits. Seule la nature a le don de nommer les choses car elle seule donne la vie.
Waban
Si notre mère nature n’était pas là, nul ne serait vivant et la terre serait sèche, froide et morte.
Soudain des branches craquent à l’extérieur. Pendant qu’on tente de cacher Alan et Mary, Jolan s’est précipité à l’entrée du ttipi. Mais il est trop tard, un adulte sioux est entré sous la tente. Les enfants ne bougent plus. Un silence lourd pèse sur l’atmosphère ambiante. Halona se place devant Mary pour la protéger.
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